Contre le libelle de Calvin

Contre le libelle de Calvin
Auteur
Date de création

Contre le libelle de Calvin, en forme longue le Contre le libelle de Calvin dans lequel il tente de montrer que les hérétiques doivent être réprimés par le droit de l'épée (en latin : Contra libellum Calvini in quo ostendere conatur haereticos jure gladii coercendos esse) est un traité théologique sous la forme de dialogue écrit par Sébastien Castellion en et publié de manière posthume, en 1612.

Dans ce texte, écrit peu après le Traité des Hérétiques, Castellion se met en scène comme contradicteur de Jean Calvin et s'attaque aux persécutions visant les personnes perçues comme hérétiques. Il y défend la liberté de religion. L'ouvrage est célèbre pour être la source de la citation la plus connue de Castellion : « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme ». Le texte est considéré comme étant l'un des premiers débats sur la question de la tolérance religieuse.

Castellion est un théologien humaniste protestant ; il évolue à Strasbourg puis se rend à Genève pour assister Jean Calvin[1]. Rapidement déçu par la jeune théocratie, il devient critique du prêcheur de manière croissante[1],[2]. Cette opposition atteint son paroxysme avec l'exécution de Michel Servet, un théologien protestant perçu comme hétérodoxe, brûlé vif à Genève[1],[2],[3]. Il apparaît, sans que ce ne soit complètement certain, que Castellion aurait essayé de lui sauver la vie avant son éxecution[4].

Castellion, qui est réfugié à Bâle, entreprend d'écrire contre Calvin[1]. En , il pubie le Traité des Hérétiques, où il s'oppose à la théologie qui sous-tend les persécutions contre les hérétiques[1],[2],[3].

Castellion rédige le Contre le libelle avec peu de distance temporelle avec le Traité des Hérétiques, ce qui explique la proximité idéologique entre les deux ouvrages[5]. Il s'agit d'un recueil d'articles, où Castellion débat avec les positions soutenues par Calvin[5]. Il les présente d'abord en citant les Institutions de Calvin directement puis les contredit ou y apporte des critiques[6]. Le texte est écrit en latin[7]. Comme pour le Traité des Hérétiques, il s'agit d'une « déclaration de guerre » contre Genève et Calvin, et achève de consommer la scission entre les deux anciens collègues[8].

Sa citation la plus connue se trouve à l'article 77 du traité[5],[7],[9],[10] :

« Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois tuèrent Servet, ils ne défendirent pas une doctrine, ils tuèrent un homme. La défense d’une doctrine n’est pas l’affaire du magistrat (qu’est-ce que le glaive peut avoir à faire avec la doctrine ?) C’est l’affaire des docteurs. L’affaire du magistrat, c’est de défendre le docteur comme il défend le paysan, l’artisan, le médecin, n’importe qui d’autre, contre les injustices. C’est pourquoi, si Servet avait voulu tuer Calvin, c’est à bon droit que le magistrat aurait pris la défense de Calvin. Mais Servet a combattu avec des arguments et des écrits : il fallait le combattre par des arguments et des écrits. »

Le texte n'est pas publié du vivant de Castellion et circule plutôt sous des formes manuscrites avant sa première édition, en 1612[11].

Thèses défendues

[modifier | modifier le code]

Castellion défend l'impunité complète des hérétiques, même s'il ne montre pas particulièrement de sympathie pour leurs idées[5],[12]. Les attaques contre Calvin sont nombreuses ; il l'accuse notamment d'avoir sombré dans l'orgueil et la démesure[13]. L'auteur vise aussi les fondements théoriques que son adversaire établit pour légitimer l'exécution d'hérétiques[9]. Il semble que Castellion soit très opposé à la peine de mort dans tous les cas, ce qui le rangerait, peut-être un peu anachroniquement, dans la catégorie des abolitionnistes[7].

Postérité

[modifier | modifier le code]

Baruch Spinoza est influencé par son contact[14]. Le texte est considéré comme étant l'un des premiers débats sur la question de la tolérance religieuse[11],[12].

En 1936, Stefan Zweig publie Conscience contre violence, une biographie de Castellion où il lui rend hommage[15].

Références

[modifier | modifier le code]
  1. a b c d et e Pierre Bühler, « Formes Précoces De L'idée Moderne De Tolérance Religieuse Chez Sébastien Castellion », Revue de Théologie et de Philosophie, vol. 147, no 4,‎ , p. 345–358 (ISSN 0035-1784, lire en ligne, consulté le )
  2. a b et c Charles Bost, « Sébastien Castellion Et L'opposition Protestante Contre Calvin », Revue de Théologie et de Philosophie, vol. 2, no 10,‎ , p. 301–321 (ISSN 0035-1784, lire en ligne, consulté le )
  3. a et b Marius Valkhoff, « Sebastian Castellio and His 'De Haereticis a Civili Magistratu Non Puniendis...libellus' », Acta Classica, vol. 3,‎ , p. 110–119 (ISSN 0065-1141, lire en ligne, consulté le )
  4. Sébastien Castellion et Étienne Barilier, Contre le libelle de Calvin: après la mort de Michel Servet, Éd. Zoé, (ISBN 978-2-88182-329-9)
  5. a b c et d Samuël Tomei, « Renaissance et Réforme : l’humanisme de Sébastien Castellion (1515-1563) », Humanisme, vol. 293, no 3,‎ , p. 66–71 (ISSN 0018-7364, DOI 10.3917/huma.293.0066, lire en ligne, consulté le )
  6. (pt) Leandro Thomaz de Almeida, « “Matar um homem não é defender uma doutrina, é matar um homem”: notas sobre a estratégia argumentativa de Sébastien Castellion no caso Miguel Servet », Letras Clássicas, vol. 17, no 1,‎ , p. 97–108 (ISSN 2358-3150, DOI 10.11606/issn.2358-3150.v17i1p97-108, lire en ligne, consulté le )
  7. a b et c Bernard Reymond, Le protestantisme et Calvin: que faire d'un aïeul si encombrant ?, Labor et fides diff. Éd. du Cerf, coll. « Protestantismes », (ISBN 978-2-8309-1284-5)
  8. Ferdinand Buisson, « Essai D’organisation de la Résistance. Le « Contra Libellum Calvini » (1554) », dans Sébastien Castellion, sa vie et son oeuvre (1515-1563). Tome second, Brill, , 29–55 p. (ISBN 978-90-04-53473-5, DOI 10.1163/9789004534735_003, lire en ligne)
  9. a et b Ana Gómez Rabal, « «"Hominem occidere non est doctrinam tueri, sed est hominem occidere": en torno a Servet, Calvino y Castellio», in E. BORRELL VIDAL, L. FERRERES PÉREZ (edd.): Artes ad humanitatem, vol. II, Barcelona, SEEC - Diputació de Tarragona, 2010, pp. 69-75 », ARTES AD HVMANITATEM,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. Juan Antonio Cremades, « Chronique historique il y a 450 ans Miguel Servet », Bulletin de l'Académie Nationale de Médecine, vol. 187, no 8,‎ , p. 1597–1606 (ISSN 0001-4079, DOI 10.1016/s0001-4079(19)33894-4, lire en ligne, consulté le )
  11. a et b Grzegorz Wierciochin, « L'hétérodoxie, une « folie » acceptable ? Remarques sur l'Apologia pro Serveto Villanovano », Publije, no 2,‎ (ISSN 2108-7121, lire en ligne, consulté le )
  12. a et b Giovanni Gonnet, « L’affaire Servet ou quand et pourquoi est né en Europe le principe de la tolérance et de la liberté de conscience », Heresis : revue d'hérésiologie médiévale, vol. 29, no 1,‎ , p. 109–115 (DOI 10.3406/heres.1999.1862, lire en ligne, consulté le )
  13. Mathilde Bernard, « Pureté de la foi ou enflure du moi. L'ombre de Calvin autour du bûcher de Servet. », dans Représentations de soi à la Renaissance, Hermann, , 183–194 p. (lire en ligne)
  14. Étienne Barilier, « Spinoza, Lecteur De Castellion? », Revue de Théologie et de Philosophie, vol. 132, no 2,‎ , p. 151–162 (ISSN 0035-1784, lire en ligne, consulté le )
  15. Mireille Fognini, « Quand Stefan Zweig stigmatise l'exercice de l'autorité pervertie en tyrannie », Le Coq-héron, vol. 208, no 1,‎ , p. 107 (ISSN 0335-7899 et 1951-6290, DOI 10.3917/cohe.208.0107, lire en ligne, consulté le )