Danielle Cravenne
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Nom de naissance | Danielle Françoise Bâtisse |
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Conjoint | Georges Cravenne (à partir de ) |
Danielle Cravenne, née Danielle Bâtisse le à Paris (15e arrondissement) et morte le à Marignane (Bouches-du-Rhône)[1], est connue pour avoir détourné le vol Paris-Nice du 18 octobre 1973 afin de tenter l'annulation de la sortie du film Les Aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury, dont son mari Georges Cravenne est chargé de la promotion. La Française est tuée par balles à l'aéroport de Marseille après l'assaut de la police.
Biographie
[modifier | modifier le code]En 1968, Danielle Cravenne se convertit au judaïsme en épousant Georges Cravenne (1914-2009), producteur et publicitaire français. Le couple a deux enfants âgés de de 6 et 4 ans.
En 1973, Georges Cravenne est chargé de la promotion du film Les Aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury qui raconte l'histoire d'un industriel antisémite et raciste incarné par Louis de Funès se faisant passer pour un rabbin orthodoxe pour échapper à ses poursuivants arabes. Le est la date prévue de sortie du film[2]. La guerre du Kippour qui oppose Israël à une coalition menée par l'Égypte et la Syrie vient d'éclater[3],[4].
Bien que devenue Juive, Danielle Cravenne est particulièrement touchée par le conflit qui vient de surgir[5]. Elle se sent également proche des Palestiniens : la guerre du Kippour vient ainsi bouleverser son esprit psychologiquement fragile[5]. Elle était, quelque temps plus tôt, soignée pour une « dépression nerveuse »[5]. Sa situation n'était pas connue de tous, Gérard Oury décrivant ainsi comment il la voyait : « Jolie, élégante, trente-cinq ans, deux enfants que le couple chérit, les Cravenne donnent l'image du bonheur »[6].
Les jours précédant la sortie en salle, Gérard Oury reçoit des billets anonymes à son appartement rue de Courcelles demandant « Il ne faut pas projeter Rabbi Jacob, je vous en conjure, annulez tout »[6]. Le cinéaste pense a posteriori que ces billets l'implorant de ne pas sortir son film, qu'il prenait pour une plaisanterie, sont de Danielle Cravenne[6].
Danielle Cravenne se met en tête de détourner un vol pour se faire entendre. Elle avoue son projet la veille à une amie, qui n'y croit pas. Les détournements d'avion sont alors très fréquents à cette époque[7], notamment menés par des femmes palestiniennes[8].
Elle se dit fatiguée auprès de son mari et prévoit de se reposer quelques nuits à l'auberge de « La Colombe d'or » située à Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes)[9]. Le , le jour-même de la sortie en salle des Aventures de rabbi Jacob, Danielle Cravenne, accompagnée de son chien, passe les contrôles de sécurité de l'aéroport d'Orly en dissimulant une carabine 22 long rifle et un pistolet[10]. À 11 h 45, le Boeing 727 d'Air France quitte le tarmac francilien en direction de Nice[11].
Durant le trajet, quelques moqueries sont émises par les passagers à son encontre concernant son manteau de vison[12]. Elle se lève de son siège en direction des toilettes. Lorsqu'elle en ressort, armée d'une carabine[4] et d'un revolver (qui se révèlera factice)[13], elle détourne le vol d'Air France faisant la liaison Paris-Nice. Croyant toujours que le film de Gérard Oury est « pro-sioniste », elle réclame l'annulation de sa sortie en salles ainsi que d'autres revendications en rapport avec le conflit moyen-oriental et demande à atterrir au Caire en Égypte[5]. Elle menace de faire écraser le Boeing sur l'usine de Pierrelatte[5]. Le pilote négocie alors une escale à Marseille pour un approvisionnement en kérosène, et l'avion se pose à 12 h 32 à l'aéroport de Marignane. Danielle Cravenne fait débarquer les 110 passagers[11]. Elle retient le commandant de bord et le chef de cabine[9],[14].
Les autorités jugent ses revendications et explications « incohérentes » et estiment qu'ils ont affaire à une « déséquilibrée », tandis que Danielle Cravenne écrit « Je ne suis pas folle. Mais je ne suis pas d'accord avec le gouvernement »[5],[15].
Après trois heures de négociations, elle demande un repas et trois membres du Groupe d'intervention de la Police nationale (GIPN), usurpant les rôles du personnel de restauration, montent à bord. Elle aurait mis l'un d'entre eux en joue, celui-ci tirant alors deux balles, la première dans la poitrine et la seconde dans la tête[16]. Les ambulanciers la découvrent recroquevillée dans un coin encore en vie[12].
À l'âge de 35 ans, Danielle Cravenne meurt lors de son transfert à l'hôpital[17],[5].
Après cette tragédie, Georges Cravenne et ses avocats, Robert Badinter et Georges Kiejman intentent une action de justice contre l'État français, le [18] mais elle est déboutée au motif des fragilités psychologiques de la preneuse d'otages[2].
Cravenne explique plus tard à Oury que s'il avait montré le film à sa femme avant sa sortie, elle n'aurait probablement pas commis ce détournement[19].
Deux ans après les faits, Cravenne poursuit le Trésor public au tribunal civil pour obtenir une indemnité d'un franc symbolique[20]. L'Aurore du rapporte le point de vue de son avocat : « Le commandant de bord, apprenant que l'ordre d'assaut était donné, a estimé que ce n'était pas opportun, précise l'avocat qui s'attache ensuite à montrer que, contrairement à ce qui fut dit, Danielle n'a pas tiré sur le policier. La preuve en est que le chargeur a été retrouvée intact et complet et qu'aucune trace de ce soi-disant projectile n'a été retrouvée. Fallait-il donc la tirer comme un lapin ? »[20],[21]. Leurs arguments[Par qui ?] sont que la pirate de l'air a agi en état de dérèglement mental, et qu'au bout d'un certain moment, il aurait été possible de la désarmer[20].
Reportage
[modifier | modifier le code]Dans un reportage, « Danielle Cravenne, destin funeste », diffusé sur l'ORTF, le préfet pour la police des Bouches-du-Rhône indique les revendications de la preneuse d'otages « Elle a réclamé 15 000 litres de kérosène pour partir. Elle voulait se poser dans des régions ahurissantes puis elle a demandé à manger »[4].
Il décrit ensuite les circonstances de la prise d'assaut : « Trois hommes du GIPN ont pu pénétrer dans l'avion. Subitement, elle a mis en joue un de mes hommes qui a eu le réflexe de dégainer et de tirer, la blessant gravement ». En évoquant la légitime défense, un journaliste demande si le policier était vraiment menacé, le préfet répond « Oui, un de mes hommes a été mis en joue et la vie du steward était en jeu »[4].
Postérité
[modifier | modifier le code]Dans son roman Fourrure, paru en 2010, Adélaïde de Clermont-Tonnerre mentionne le détournement d'avion et l'un de ses personnages qualifie Danielle Cravenne de « pauvre folle »[22].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Notice de « Danielle Françoise Bâtisse », sur Fichier des personnes décédées (MatchID) (consulté le ).
- « Rabbi Jacob : pourquoi la femme de l'attachée de presse du film s'est faite tuer ? », sur Télé Star, (consulté le ).
- Arnaud Mercier, « La vis comica de Louis de Funès au service de la réconciliation des religions. Étude des Aventures de Rabbi Jacob », dans Témoignage, mémoire et histoire. Mélanges offerts à Jacques Walter, Éditions de l'Université de Lorraine, , 425–439 p. (ISBN 978-2-38451-020-7, DOI 10.62688/edul/b9782384510207/c28, lire en ligne)
- « 1973 : Danielle Cravenne, destin funeste », sur Institut national de l'audiovisuel (INA), (consulté le ).
- M. C., « La mort de Mme Cravenne », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
- Oury 1988, p. 277.
- Arnaud, « Détourner un avion de ligne pour tenter d'empêcher la sortie des Aventures de Rabbi Jacob ! », sur avionslegendaires.net, .
- Christian Prouteau et Jean-Luc Riva, GIGN, nous étions les premiers : La véritable histoire du GIGN racontée par ses premiers membres, Nimrod, , 384 p. (ISBN 978-2-915243-96-3 et 2-915243-96-4, lire en ligne).
- Anne Diatkine (d), « Derrière la sortie des Aventures de Rabbi Jacob, la tragédie de la pirate pacifiste Danielle Cravenne » , sur Libération, (consulté le ).
- « Le projectile qu'aurait tiré Mme Cravenne n'a pas été retrouvé » , sur Le Monde, (consulté le ).
- C. Prouteau et J.-L. Riva, GIGN : nous étions les premiers, p. 27.
- F. Nénin, Oups ! On a oublié de sortir le train d'atterrissage, p. 98.
- Christian Prouteau et Jean-Luc Riva, GIGN, nous étions les premiers : La véritable histoire du GIGN racontée par ses premiers membres, Nimrod, , 384 p. (ISBN 978-2-915243-96-3 et 2-915243-96-4, lire en ligne).
- Sylvie Matton, « 50 ans après, la mort de Danielle Cravenne, un crime d'État », sur Le Nouvel Obs, (consulté le ).
- Détournement d'un avion Paris-Nice | INA, consulté le
- Glenn Cloarec, « L'incroyable fait divers méconnu qui a accompagné la sortie du film Rabbi Jacob », sur The Times of Israel, (consulté le ).
- Peggy Sastre, « Selon Jean Decety, trop de morale nuit à la démocratie : Quand Danielle Cravenne sacrifiait sa vie pour la cause palestinienne », sur Le Point, (consulté le ).
- « M. Georges Cravenne assigne l'État en responsabilité » , sur Le Monde, (consulté le ).
- (en) Shaina Hammerman, Silver Screen, Hasidic Jews: The Story of an Image, Indiana University Press, (ISBN 978-0-253-03170-9, lire en ligne), p. 46.
- Oury 1988, p. 278.
- « Le projectile qu'aurait tiré Mme Cravenne n'a pas été retrouvé » , sur Le Monde, (consulté le ).
- Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Fourrure, éditions Stock, , 576 p. (ISBN 978-2-234-06296-2 et 2-234-06296-9, lire en ligne).
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- François Nénin, Oups ! On a oublié de sortir le train d'atterrissage : histoires vraies et insolites de l'aérien, Paris, Fayard / Points (réimpr. 2016) (1re éd. 2015), 213 p., 22 cm (ISBN 978-2-213-68640-0, OCLC 956713212, BNF 44336013, SUDOC 18709361X, présentation en ligne, lire en ligne ), p. 98.
- Christian Prouteau et Jean-Luc Riva (préf. Col. James Callahan), GIGN : nous étions les premiers : La véritable histoire du GIGN racontée par ses premiers membres, Paris, Nimrod, , 384 p., 23 cm (ISBN 2-9152-4396-4, OCLC 1240510522, SUDOC 221382046, présentation en ligne, lire en ligne ), p. 27.
Article connexe
[modifier | modifier le code]Lien externe
[modifier | modifier le code]- [vidéo] Détournement d'un avion Paris-Nice, Daniel Cazal (journaliste présentateur) et René Heckenroth (interviewé), dans JT 20H sur Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) (, 2:02 minutes) (consulté le ).