Intégrité scientifique
L'intégrité scientifique est l'ensemble des valeurs et des règles qui garantissent l’honnêteté et la rigueur de la recherche scientifique. Concept aussi ancien que la démarche scientifique mais formalisé relativement récemment dans un rapport de l'OCDE de 2007[1], elle s'inscrit dans le contexte de la Crise de la reproductibilité et de la lutte contre la fraude scientifique.
L'intégrité scientifique diffère de l'éthique de la recherche, qui s'attache aux grandes questions que posent les progrès de la science et leurs répercussions sociétales[2]. L'intégrité scientifique relève plutôt de la déontologie du métier de chercheur. L'ensemble éthique-déontologie-intégrité, trois registres de bonnes pratiques, et donc de responsabilités,fortement imbriqués, contribue au déploiement d'une activité de recherche responsable[3],[4].
Initiatives
[modifier | modifier le code]Au niveau mondial
[modifier | modifier le code]En 1992 se crée la première structure consacrée à l'intégrité scientifique : le United States Office of Research Integrity (ORI) (en).
En 2007 l'OCDE publie un rapport sur les meilleures pratiques pour promouvoir l’intégrité scientifique et prévenir les méconduites scientifiques (Global Science Forum)[1].
Principaux textes internationaux dans ce domaine :
- La Charte européenne du chercheur (2005)
- La déclaration de Singapour sur l'intégrité scientifique (2010)[5]
- Le Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche de All European Academies (ALLEA) et la Fondation Européenne pour la science (FSE) (2011[6] révisé en 2017[7],[8]).
Les Conférences mondiales sur l'intégrité scientifique (World conferences on research integrity, WCRI) constituent le principal espace de débat international sur le sujet, notamment autour de conférences bisannuelles (Lisbonne 2007, Singapour 2010, Montréal 2013, Rio de Janeiro 2015, Hong Kong 2019, Cape Town 2022).
En Europe
[modifier | modifier le code]Le Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche, publié en 2011 et révisé en 2017, développe la notion d'intégrité scientifique sur quatre axes principaux[8] :
- Fiabilité : concerne la qualité, la reproductibilité de la recherche.
- Honnêteté : concerne la transparence, l'objectivité de la recherche.
- Respect : de l'environnement humain, culturel et écologique de la recherche.
- Responsabilité : concerne les implications de la publication de la recherche.
Les bureaux nationaux consacrés à l'intégrité scientifique mutualisent leurs efforts dans un réseau européen, ENRIO (European network of research integrity offices), qui regroupe 32 membres issus de 24 pays.
En France
[modifier | modifier le code]1999: l'Inserm crée une délégation
[modifier | modifier le code]L'Inserm a été le premier établissement de recherche de recherche français à se doter d'une délégation à l'intégrité scientifique, dès 1999[9] à la suite d'une suspicion de fraude touchant une de ses équipes.
2010: le rapport Alix
[modifier | modifier le code]Le rapport Alix, "Renforcer l'intégrité de la recherche en France"[10], est le premier document à faire le point de la situation en France, ainsi que des propositions d'évolution organisées en 8 recommandations. Rendu en 2010 à la ministre Valérie Pécresse, il n'est suivi que de peu d'effets pendant plusieurs années; quelques établissements commencent toutefois à s'organiser en leur sein, dans le sillage de l'Inserm.
2015: la charte de déontologie des métiers de la recherche
[modifier | modifier le code]En janvier 2015 a été signée une "Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche"[11] par la conférence des présidents d'université et les principaux organismes de recherche et instituts. Depuis, la charte constitue le texte fondateur du dispositif national en matière d'intégrité scientifique.
En quelques années, cette charte a été ratifiée par la majorité des établissements de recherche et d'enseignement supérieur français[12].
Au sein des établissements, les référents à l'intégrité scientifique veillent à la promotion de la charte et à sa bonne mise en oeuvre (formation des personnels, dispositions de politique générale de l'établissement favorables à l'intégrité scientifique, définition et mise en oeuvre des procédures notamment en ce qui concerne les enquêtes internes, etc.)[13]. Alors que seuls quatre établissements avaient nommé un référent à l'intégrité scientifique début 2015, ils sont plus de 120 en 2020[12].
En outre, de nombreux praticiens de l'intégrité scientifique, notamment des référents d'établissements, mutualisent leurs efforts et leurs expériences au sein d'un réseau national informel.
Le cas du CNRS
[modifier | modifier le code]Signataire fondateur de la charte dès 2015 mais ébranlé depuis par une série d'affaires médiatisées[14] et qui ont conduit à plusieurs rétractations d'articles, touchant successivement un chercheur, la directrice scientifique de celui-ci puis la présidente par intérim, le CNRS a annoncé son dispositif consacré à l'intégrité scientifique fin 2018[15], à l'initiative de son nouveau président Antoine Petit[16]. Le dispositif est articulé avec ceux consacrés à la déontologie et au lancement d'alertes[17].
2016: le rapport Corvol
[modifier | modifier le code]En 2016, Thierry Mandon, récemment nommé Secrétaire d'État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, prend acte de l'adoption croissante de la charte et charge Pierre Corvol de "proposer des mesures opérationnelles pour renforcer encore l'intégrité scientifique en France"[18]. Le rapport Corvol, “Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique“, lui a été remis quelques mois plus tard[19],[2]. Il se focalise sur les questions propres à l'activité de recherche (l'intégrité scientifique à proprement parler), laissant celles qui concernent les conflits d'intérêts –très présentes dans la charte– à la révision en cours simultanément de la loi Le Pors[20] portant droits et obligations des fonctionnaires.
Les 16 propositions du rapport Corvol ont permis de nombreuses dispositions concrètes pour l'intégrité scientifique et la lutte contre la fraude scientifique en France[21],[22], notamment à la suite de la lettre circulaire adressée par le Secrétaire d'État à tous les opérateurs de recherche[23] : cadre sémantique, mise à disposition de ressources partagées, formation des doctorants, conditionnement des financements de la recherche, prise en compte dans l'évaluation, création de l'Office Français de l'Intégrité Scientifique (OFIS).
2017: l'OFIS (Office Français de l'Intégrité Scientifique)
[modifier | modifier le code]L'OFIS est créé en mars 2017 sous forme d'un nouveau département au sein du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur[24],[25],[26].
La mission de l'OFIS est triple :
- Prospective et de veille, notamment dans le cadre des nouvelles formes que prend la recherche (sciences participatives, big data, réutilisation des données, open science) et en lien avec les dynamiques européennes et internationales ;
- Observation du respect de la charte de déontologie des métiers de la recherche ;
- Animation des communautés scientifiques nationales sur les questions d’intégrité scientifique.
L'activité de prospective et de veille est notamment le fait du conseil de l'OFIS, le CoFIS (Conseil français de l'intégrité scientifique), composé de 12 personnalités scientifiques. Plus globalement, le CoFIS oriente et supervise les travaux de l'OFIS.
Au titre de sa mission d'animation, l'OFIS entretient et met à jour une bibliothèque virtuelle consacrée aux questions d'intégrité scientifique[27]. Il réunit annuellement la conférence des signataires de la charte, constituée des chefs d'établissements signataires. Il organise annuellement le Colloque français d'intégrité scientifique; l'édition 2019 du colloque a permis d'explorer l'interface entre intégrité scientifique et science ouverte[28],[29], dont les sessions vidéo restent accessibles ainsi que la synthèse[30] (l'édition 2020 a été reportée pour cause de crise sanitaire).
L'OFIS représente la France dans le réseau européen ENRIO (European network of research integrity offices).
La mission ne comprend pas le traitement de dossiers individuels, qui continue de relever des prérogatives des établissements de recherche. Le périmètre de compétence de l'OFIS n'empiète pas non plus sur celui du collège de déontologie du ministère de la recherche[31], chargé de la bonne mise en œuvre de la loi Le Pors[20] et notamment de l'évitement et de la gestion des conflits d'intérêts.
2020: entrée dans le Code de la recherche
[modifier | modifier le code]En décembre 2020, l'intégrité scientifique entre dans le Code de la recherche via la loi de programmation de la recherche: l'article L211-2[32] définit le périmètre de l'intégrité scientifique et les devoirs des établissements opérateurs de recherche, et l'article L114-3-1[33] définit le rôle de l'OFIS (via le Hcéres). Cette évolution législative fait suite aux recommandations d’un rapport sur l’intégrité scientifique[34] publié par le député Pierre Henriet et le sénateur Pierre Ouzoulias au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques[35],[36].
- ALLEA, Code de conduite européen pour l'intégrité en recherche, [8]
- ENRIO, European network of research integrity offices
- Pierre Corvol, Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique, Ministère de l'enseignement supérieur, [2]
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) OCDE, Best Practices for Ensuring Scientific Integrity and Preventing Misconduct, , 13 p. (lire en ligne)
- Pierre Corvol, Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d’intégrité scientifique, , 63 p. (lire en ligne)
- Marianne Alunno-Bruscia, Christian Duquennoi, Philippe Goulletquer, Estelle Jaligot, Antoine Kremer, Françoise Simon-Plas, Une recherche responsable : L’intégrité scientifique, Versailles, éditions Quae, , 64 p. (ISBN 978-2-7592-3717-3, lire en ligne), p. 4
- Léo Coutellec, « Penser l’indissociabilité de l’éthique de la recherche, de l’intégrité scientifique et de la responsabilité sociale des sciences: Clarification conceptuelle, propositions épistémologiques », Revue d'anthropologie des connaissances, vol. 13, no 2, , p. 381 (ISSN 1760-5393, DOI 10.3917/rac.043.0381, lire en ligne, consulté le )
- (en) « Singapore Statement on Research Integrity »
- (en) European Science Foundation (ESF), All European Academies (ALLEA), The European Code of Conduct for Research Integrity, Strasbourg, Ireg, , 24 p. (ISBN 978-2-918428-37-4, ESF-ALLEA, 2011)
- (en-US) ALLEA, « ALLEA publishes revised edition of The European Code of Conduct for Research Integrity - », sur allea.org, (consulté le )
- ALLEA - All European Academies, Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche - Édition révisée, Berlin, , 24 p. (lire en ligne)
- « L'Inserm crée une délégation à l'intégrité scientifique. », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Jean-Pierre Alix, Renforcer l'intégrité de la recherche en France, Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, , 69 p. (lire en ligne)
- Anonyme, Charte française de déontologie des métiers de la recherche, , 4 p. (lire en ligne)
- « Liste des signataires des chartes et des référents intégrité scientifique », sur OFIS (consulté le )
- Corvol et al., Vademecum Intégrité Scientifique, , 13 p. (lire en ligne)
- « La biologie française minée par des manquements à l’intégrité scientifique », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « Nomination d’un référent intégrité scientifique au CNRS », sur www.cnrs.fr (consulté le )
- Le Gall et al., Intégrité Scientifique au CNRS – Vers un dispositif pérenne de promotion des valeurs de l’intégrité scientifique au CNRS, et de traitement des allégations de manquement à l’intégrité, CNRS, 39 p. (lire en ligne)
- « Éthique, déontologie, intégrité scientifique et lancement d’alerte | CNRS », sur cnrs.fr (consulté le )
- communiqué de Thierry Mandon, « Mission relative à l'intégrité scientifique confiée au professeur Pierre Corvol », sur Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, (consulté le )
- « Remise du rapport de Pierre Corvol : Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique », sur enseignementsup-recherche.gouv.fr (consulté le )
- « Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Loi dite loi Le Pors. », sur legifrance.gouv.fr, (consulté le )
- « Lents progrès contre la fraude scientifique », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « Interview de Pierre Corvol sur l'intégrité scientifique », sur Hcéres (consulté le )
- Thierry Mandon, « Lettre-circulaire relative à la politique d’intégrité scientifique au sein des […] opérateurs de recherche, et au traitement des cas de manquements à l’intégrité scientifique », sur legifrance.gouv.fr, (consulté le )
- « Installation de l'Office français de l'intégrité scientifique », sur hceres.fr, (consulté le )
- « Office Français de l’Intégrité Scientifique (OFIS) », sur hceres.fr (consulté le )
- « L’indispensable intégrité scientifique », sur France Culture, (consulté le )
- « Intégrité Scientifique: documentation », sur hceres.fr (consulté le )
- « Colloque "Intégrité scientifique et science ouverte" », sur hceres.fr, (consulté le )
- « Intégrité scientifique et science ouverte | Colloque de l’Office Français de l’Intégrité Scientifique (OFIS) » (consulté le )
- « Retour en images sur le colloque "Intégrité scientifique et science ouverte" », sur hceres.fr (consulté le )
- « Le collège de déontologie de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation », sur enseignementsup-recherche.gouv.fr (consulté le )
- « Article L211-2 - Code de la recherche », sur legifrance.gouv.fr (consulté le )
- « Section 2 : Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. (Articles L114-3-1 à L114-3-6) », sur legifrance.gouv.fr (consulté le )
- « rapport intégrité scientifique OPECST »
- « amendement 603 », sur assemblee-nationale.fr
- « amendement 98 », sur senat.fr