Le Portement de Croix (Brueghel)

Le Portement de Croix
Artiste
Date
Type
Technique
Dimensions (H × L)
124 × 170 cm
Propriétaire
No d’inventaire
GG_1025Voir et modifier les données sur Wikidata
Localisation

Le Portement de Croix est un tableau peint par Pieter Brueghel l'Ancien en 1564. Conservée au musée d'histoire de l'art de Vienne à Vienne, cette peinture à l'huile traite d'un thème pictural fréquent dans l'iconographie chrétienne, la Montée au calvaire.

Deuxième plus grande toile de Brueghel[1], elle fait partie des seize tableaux commandés par son ami Niclaes Jonghelinck pour sa propriété de campagne fortifiée située dans les environs d'Anvers. Peinte en 1564, elle est une des nombreuses œuvres de l'artiste qui sont collectionnées très tôt par deux Habsbourg, l'archiduc Ernest qui gouverne les Pays-Bas au sein du Saint-Empire romain germanique et son frère l'empereur Rodolphe II, le tableau étant enregistré en 1604 dans les collections de ce dernier dans son château de Prague. Il est transféré à Vienne, avant que Napoléon ne charge Denon, directeur du musée Napoléon, de la réquisitionner en 1809 pendant la campagne d'Allemagne et d'Autriche. Le tableau est finalement récupéré par l'empire d'Autriche en 1815[2].

Description

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Le tableau représente un vaste paysage peuplé de plus de 500 personnages (notables, marchands[3], paysans, ouvriers agricoles et urbains, clercs, moines, fonctionnaires, soldats, artisans, mendiants, gitans…)[4] qui, pour la plupart, vont de la ville fortifiée au fond à gauche vers le Golgotha au fond à droite. Il associe deux thèmes fort répandus. Il s'agit d'une part du Portement, ayant déjà inspiré à Jan van Eyck la composition de vastes paysages et, de l'autre, d'une anticipation de la Déploration, figurée en plan rapproché sur un mode plus intimiste. Tous deux sont noyés dans une multitude de personnages accessoires faisant l'objet d'un travail de création aussi attentif que les scènes chrétiennes elles-mêmes.

Selon le critique d'art Michael Gibson (en), le tableau est traversé de trois principales lignes de force circulaires. Le premier cercle est souligné par les murs de la ville, le second, plus petit, est dessiné par la foule sur le Golgotha. Le troisième, moins apparent, est figuré par le mouvement tournant de la foule qui va de l'un à l'autre. Le moulin, perché sur le piton rocheux jailli des entrailles de la terre, « sert de moyeu à ce vaste manège[11] ».

La minutie de la composition et la profusion de motifs de figures les plus variés, évoquent une miniature de grande ampleur dans laquelle l'artiste parvient à représenter des détails d'une précision stupéfiante tout en les combinant à une grande profondeur de champ[12]. Dès l'époque de Brueghel, cette trouvaille picturale témoige d'une volonté de se mesurer aux anciens maîtres. La rhétorique et la théorie de l'art ont appelé de telles interprétations Æmulatio (une nouvelle création inspirée par plusieurs prototypes)[13].

Le film Bruegel, le Moulin et la Croix du réalisateur polonais Lech Majewski fait revivre la journée d'une douzaine de personnages extraits du tableau. Des techniques numériques et de véritables acteurs animent la toile pour en faire un tableau vivant[14].

Notes et références

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  1. Après la toile Le Vin de la Saint-Martin.
  2. (en) Peter Russell, Bruegel, Delphi Classics,, , p. 70.
  3. Identifiés par leurs éventaires de friandises et de rafraîchissements.
  4. Gibson repère au moins un gitan « caractéristiquement vêtu d'une couverture rayée, qui marche auprès de la charrette des condamnés ». Cf Modèle:Harvs.
  5. On peut observer sur ce rocher plusieurs ouvertures (une petite grotte murée de briques et un rampe en bois protégée par des pieux, deux baies carrées). Perché au sommet trop étroit du rocher, le moulin est supporté par une plate-forme circulaire qui permet de l'orienter. La forme de cette plate-forme répond à celle des roues de supplice. Cf Claude Rivals, Le moulin et le meunier: Une symbolique sociale, Empreinte, , p. 178
  6. La charrette est traînée par un cheval pataugeant dans des flaques d'eau. Le Bon Larron (identifié par le crucifix qu'il tient serré entre ses mains grises) est assisté par un franciscain et le Mauvais Larron (identifié par la tête qu'il lève vers un ciel à ses yeux vides) par un dominicain, les deux moines étant vêtus à la manière des ecclésiastiques du XVIe siècle. Le cortège est précédé de la bannière des Habsbourg et suivi par un peloton de cavalerie, composé de nobles seigneurs qui caracolent. Les tuniques rouges des gendarmes sont une allusion directe aux « Roode Rocx », nom flamand des mercenaires au service de Philippe II (de la dynastie des Habsbourg) et dont Brueghel veut dénoncer les exactions (voir Le Massacre des innocents). Cf Charles de Tolnay, Pierre Bruegel l'ancien, Nouvelle société d'éditions, , p. 34 et Gibson 1996, p. 27.
  7. La résistance de sa femme (une laitière dont la cruche de lait est renversée) peut être considérée comme hypocrite, puisqu'elle porte un chapelet qui pend à la poche de son tablier blanc des jours de marché. L'agneau ligoté est un symbole du martyre. Gibson 1996, p. 70.
  8. Ce groupe se détourne du cortège accompagnant les suppliciés, ce qui semble l'opposer au colporteur avec son chapeau orné de plumes de faisan, assis sur un rocher couvert de fougères et qui contemple le spectacle (le colporteur connu à l'époque pour transporter dans son panier des livres réformés prohibés par l'Inquisition, est une allusion au protestantisme). Un couple de lézards (symbole de contemplation de la lumière divine, en référence à son immobilité au soleil) et un crâne de lapin (symbole de chasteté) traînent aux pieds de la Vierge. Cf Roland Recht, De la puissance de l'image. Les artistes du nord face à la Réforme, Documentation française, , p. 182.
  9. « Un long alignement de roues dressées vers le ciel monte comme un télésiège macabre vers le sommet du Golgotha. Plusieurs portent encore les cadavres boursouflés des suppliciés de la veille – ou de la semaine précédente. Sous deux gibets plantés au petit bonheur (si l'on ose dire), des pendus raides et indolents brinquebalent au vent. Crânes et ossements humains traînent ici et là ». Cf Gibson 1996, p. 79.
  10. Gibson 1996, p. 110.
  11. Gibson 1996, p. 33.
  12. Gibson 1996, p. 120.
  13. (en) Mark A. Meadow, « Bruegel's Procession to Calvary. Aemulatio and the Space of Vernacular Style », Nederlands kunsthistorisch jaarboek, vol. 47, no 1,‎ , p. 181-205.
  14. « Un tableau de Bruegel prend vie au Louvre », sur Libération.fr (consulté le )

Bibliographie

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  • Michael Gibson, Le portement de Croix. Histoire d'un tableau de de Pierre Bruegel l'Aîné, Noesis, , 140 p. (lire en ligne)

Articles connexes

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Liens externes

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