Le Sacrifice

Le Sacrifice
Description de cette image, également commentée ci-après
L'acteur Erland Josephson incarne Alexander, le rôle principal.
Titre original Offret
Réalisation Andreï Tarkovski
Scénario Andreï Tarkovski
Acteurs principaux
Pays de production Drapeau de la Suède Suède
Drapeau de la France France
Drapeau du Royaume-Uni Royaume-Uni
Genre Drame
Durée 149 minutes
Sortie 1986

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Le Sacrifice (Offret) est un film franco-britanno-suédois réalisé par Andreï Tarkovski, sorti en 1986, septième et dernier long métrage du réalisateur soviétique.

Le Sacrifice est une méditation sur la mort, l'importance de la parole, de la parole donnée et de la prière.

Une catastrophe nucléaire mondiale survient lors de l'anniversaire d'un vieux comédien. Celui-ci fait le vœu à Dieu de renoncer à ce qu'il a de plus cher si tout redevient comme avant. Le facteur, collectionneur étrange passionné de Nietzsche, enjoint au comédien d'aller passer la nuit avec leur bonne qui est aussi sorcière et réussira à annuler la destruction du monde. Le comédien passe la nuit avec la bonne, son vœu est exaucé. À son réveil, il incendie sa maison et il est interné dans un asile.

Alexandre est un ancien comédien célèbre qui vit avec sa famille sur une île au large des côtes suédoises. C'est l'été et pour son anniversaire, il plante un arbre sec au bord de la mer. Son petit garçon de six ans l'accompagne. Il ne peut plus parler à la suite d'une opération du cou. Alexandre raconte à son fils l'histoire d'un vieil homme qui plante un arbre sec en haut d'une montagne et qui, chaque jour, gravit la montagne pour l'arroser. Un beau jour, l'arbre est couvert de fleurs.

Le facteur Otto arrive et lui remet un télégramme. Il médite sur le nain[1] du Zarathoustra de Nietzsche. Victor l'ami médecin qui a opéré le petit arrive. Alexandre raconte à son fils sa pensée sur l'état de la civilisation, l'inanité du progrès scientifique, et l'impuissance à agir des humains.

Pendant que les deux femmes de maison, Julia et Marie l'Islandaise, préparent le repas, Victor offre à Alexandre un livre sur les icônes russes. Adélaïde, l'épouse d'Alexandre, comédienne d'origine anglaise, exprime son dépit que son mari ait abandonné sa carrière théâtrale. Otto arrive avec en cadeau une ancienne carte d'Europe. Otto est un curieux collectionneur. Il recueille tous les faits inexpliqués et singuliers.

Soudain, le ciel s'assombrit, la vaisselle se met à vibrer, les verres tombent, le sol tremble, un avion à réaction passe tout près. Les hôtes sont effrayés et stupéfaits. De la télévision on entend une voix qui annonce « Ordre et organisation ! Chacun doit rester à l'endroit où il est, car il n'y a pas d'endroit plus sûr en Europe où chacun se trouve actuellement ». Les programmes sont brutalement interrompus. Victor, le médecin, calme l'hystérie d'Adélaïde avec une injection. On comprend que Victor et Adélaïde sont amants. Le petit garçon dort dans sa chambre. La femme de maison Maria et Otto ont disparu.

Alexandre erre désespéré dans la maison. Il se met à prier et promet de renoncer à tout ce qui lui est cher, de ne plus dire une seule parole, si tout revient à nouveau comme au matin. Otto revient et convainc Alexandre d'aller chez Maria ; il doit coucher avec elle pour que le monde soit sauvé. Alexandre part à vélo et arrive chez Maria. Il lui dit en pleurant la misère de son existence. Devant son indifférence apparente, il est sur le point de se tirer une balle dans la tête. Maria va vers lui, le console, et se déshabille.

Lorsqu'il se lève le lendemain, tout semble être revenu comme avant. Après le petit-déjeuner, sa femme, sa fille, la bonne Julia et Victor vont faire une promenade. Alexandre se cache pour rester à la maison. Il allume le feu. La maison brûle avant que le groupe ne soit rentré. Alexandre est emmené de force dans une ambulance pour l'asile.

Le petit garçon, loin de la scène tragique de l'incendie, arrose l'arbre et parle pour la première fois : « Au commencement était le Verbe. Pourquoi, papa ? »

La notion de l'authenticité et de la reproduction

[modifier | modifier le code]

Au cours du film, plusieurs éléments sont interrogés sur leur authenticité comme la carte d’Europe qu’Otto rapporte ou le tableau de Léonard de Vinci. Le principe de reproduction est aussi évident lors de l’étrange apparition d’une maquette identique à la maison d’Alexandre. Lorsque le protagoniste l’aperçoit il en fait longuement le tour et appelle Maria qui semble marcher à proximité. Il lui demande qui a fait cette maquette et elle lui répond que c’est son fils qui souhaitait lui offrir en cadeau. Ce qui rappelle la notion de sacrifice que comporte le cadeau exprimée lors de la scène qui se déroule plus tôt; Otto offre à Alexandre une carte de l’Europe qui daterait du XVIIe siècle pour son anniversaire en lui affirmant que tout cadeau implique absolument un sacrifice.

Habituellement, une maquette se retrouverait à l’intérieur, dans un endroit sûr, ce qui n’est pas le cas de celle qu’Alexandre aperçoit comme abandonné à l’extérieur près de l’eau et de la boue. Le fait que la réplique soit à l’extérieur, au milieu de nulle part imite davantage l'environnement de la véritable maison. Celle-ci est évidemment exposée aux intempéries et n’importe qui pourrait facilement l’écraser. Le modèle réduit de la maison pourrait représenter la vulnérabilité à laquelle la vraie demeure est exposée, que ce soit avant ou durant l’acte de sa destruction.

Le fait que l’enfant ait techniquement contribué à la construction de cette maison donne l’effet qu’il fait partie constituante de la demeure pour Alexandre, ce qui la rapporte à la substitution liée au sacrifice. Comme l’explique René Girard dans La Violence et le Sacré : « C’est la communauté entière que le sacrifice protège de sa propre violence, c’est qu’il détourne vers des victimes qui lui sont extérieures[2] ». Ce lien entre cet endroit et le fils rend encore plus juste la substitution de l’endroit détruit par le personnage principal. Effectivement, c’est en détruisant sa demeure qu’il rompt avec le passé et qu’il ne pourra retourner en arrière[3]. C’est sa seule issue.

Fiche technique

[modifier | modifier le code]

Distribution

[modifier | modifier le code]

Esthétique

[modifier | modifier le code]
  • Léonard de Vinci, L'Adoration des mages, 1481.
    Le film utilise beaucoup de prises très longues, comme jamais chez Tarkovski. Le premier plan, qui montre Alexandre, son fils et le facteur en train de parler et marcher, dure neuf minutes et vingt-six secondes. C'est le plan le plus long de Tarkovski. De nombreux plans durent de six à huit minutes. Le film, au total, ne comporte que cent quinze plans (quatre plans toutes les cinq minutes en moyenne).
  • Le début et la fin du film sont tous les deux accompagnés par l'aria Erbarme dich de la Passion selon saint Matthieu. Le début montre le tableau L'Adoration des mages (vers 1481) de Léonard de Vinci, avec en son centre l'arbre. Ce tableau revient plusieurs fois dans le film. La fin du film montre l'arbre planté au bord de la mer par Alexandre.
  • La bande son comporte deux autres musiques très différentes : le son pur et violent d'un solo de flûte japonais, et des chants d'appels, avec lesquels les gardiennes de troupeaux ramenaient le bétail des pâturages à la ferme.

L'histoire de l'avant-dernière scène

[modifier | modifier le code]

La plus grande partie du film a été tournée à l'intérieur et à l'extérieur d'une maison construite spécialement pour la production. Pendant la scène finale, Alexandre brûle sa maison et ses biens. Elle a été filmée dans un plan unique de six minutes et cinquante secondes, souvent tenu à tort pour sa plus longue prise. Elle a été particulièrement difficile à terminer. Au départ, il n'y a qu'une seule caméra, malgré l'avis contraire de Nykvist. La caméra tombe en panne lors de l'incendie de la maison. Tarkovski insiste pour que la scène ne soit pas un simple montage réalisé à partir des restes du plan endommagé et on est obligé de reconstruire la maison en moins de deux semaines à grands frais. La scène est tournée cette fois avec deux caméras sur des rails parallèles. Cette dernière prise retenue dans le film s'achève brutalement parce que la bobine entière a été épuisée. Toute l'équipe technique et les comédiens fondent en larmes lorsque cette dernière prise est achevée.

Cette péripétie est relatée dans le documentaire Dirigé par André Tarkovski et le documentaire Une journée d'Andreï Arsenevitch (1999) de Chris Marker.

Appréciation

[modifier | modifier le code]

« Une musique, un éclairage, des travellings presque imperceptibles, des personnages qui déambulent lentement et la magie opère. Plus que les autres, ce film de Tarkovski est envoûtant. C'est donc d'abord un film à ressentir, et il suffit de se laisser porter par une mise en scène et des images d'une extrême beauté qui créent à elles seules l'émotion. Bien sûr, les « tarkovskiens » joueront au jeu des références, des correspondances et des symboles : on retrouve dans Le Sacrifice, le goût de Tarkovski pour le rite, pour le fantastique et la science-fiction, son amour de la poésie, son utilisation de la métaphore. Le Sacrifice est, toutefois, l'un de ses films les plus limpides. La quête de Tarkovski y est parfaitement explicite. Elle s'appuie avant tout sur un mysticisme chrétien mais elle est également influencée par la pensée de Gandhi, les spiritualités extrême-orientales ainsi que par un panthéisme slave fondé sur les quatre éléments. Absent de Stalker et de Nostalgie, où dominent la terre et les eaux stagnantes, l'air fait ici son apparition[4], en même temps que l'eau est devenue vivante.

Le Sacrifice est un film d'élévation d'où se dégage un sentiment de pureté. La démarche du film est d'ailleurs celle d'une purification, de la vanité du discours à la plénitude du silence et de la méditation. C'est à travers un sacrifice que se fait le passage vers le nécessaire « ressourcement » personnel, à travers une offrande de soi-même. Le Sacrifice est, en effet, aussi un film d'amour dans lequel Tarkovski s'efface, en laissant à son fils le soin de faire renaître la vie. Le dernier plan le montre. Il laisse une impression bouleversante. Celle d'avoir vécu au rythme d'un chef-d'œuvre[5]. »

— G.P., Site du Jury œcuménique

Autour du film

[modifier | modifier le code]
  • Paysage de Närsholmen, là où a été tourné le film.
    Le tournage a eu lieu à Närsholmen, sur l'île suédoise de Gotland. Ingmar Bergman a tourné plusieurs de ses films sur cette île.
  • L'acteur principal Erland Josephson a préparé le tournage avec Tarkovski dans la pièce radiophonique Une nuit dans l'été suédois.
  • Le Sacrifice est le dernier film d'Andréï Tarkovski qui meurt le .
  • Le film est dédié à son fils Andréï « avec espoir et confiance ».
  • Le doublage du film en russe a été assuré par Alexandre Gordon.

Distinctions

[modifier | modifier le code]

Articles connexes

[modifier | modifier le code]

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. Le nain est une des figures philosophico-poétiques du livre. D'autres sont l'enfant, le lion, le serpent, l'aigle, le soleil.
  2. Bernard Perret, « La violence et le sacré », Esprit, vol. Février, no 2,‎ , p. 25 (ISSN 0014-0759 et 2111-4579, DOI 10.3917/espri.1502.0025, lire en ligne, consulté le )
  3. Lucien Pelletier, « TARKOVSKI, Andrei, Le temps scellé. De L’enfance d’Ivan au Sacrifice », Laval théologique et philosophique, vol. 47, no 1,‎ , p. 135 (ISSN 0023-9054 et 1703-8804, DOI 10.7202/400598ar, lire en ligne, consulté le )
  4. Ce qui est inexact, l'air, le vent, le souffle sont très présents dans Le Miroir.
  5. Jury œcuménique.org
  6. Récompenses du film Le Sacrifice sur le site Allociné.fr, consulté le 6 août 2012

Liens externes

[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :