Le Savetier et le Financier

Le Savetier et le Financier
Image illustrative de l’article Le Savetier et le Financier
Gravure de Pierre Chenu d'après Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint & Saillant, 1755-1759

Auteur Jean de La Fontaine
Pays Drapeau de la France France
Genre Fable
Éditeur Claude Barbin
Lieu de parution Paris
Date de parution 1678
Chronologie

Le Savetier et le Financier est la deuxième fable du livre VIII de Jean de La Fontaine situé dans le second recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1678.

Cette fable a pour source Bonaventure des Périers, Nouvelles récréations et joyeux devis, nouvelle 21 : Du savetier Blondeau ; et dans Horace, l'histoire de Vulteius Mena (Épître, I, 7).

Texte de la fable

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Illustration de Benjamin Rabier (1906) (début)
Illustration de Benjamin Rabier (1906) (fin)

Un Savetier[N 1] chantait du matin jusqu'au soir :
C'était merveilles de le voir,
Merveilles de l'ouïr; il faisait des passages[N 2],
Plus content qu'aucun des sept sages[N 3].
Son voisin au contraire, étant tout cousu d'or[N 4],
Chantait peu, dormait moins encor.
C'était un homme de finance[N 5].
Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le Savetier alors en chantant l'éveillait,
Et le Financier se plaignait
Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an ? Par an ? Ma foi, monsieur,
Dit avec un ton de rieur
Le gaillard[N 6] Savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte ; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre[N 7] : il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année :
Chaque jour amène son pain.
Et bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?
Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes[N 8]),
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chommer[N 9] ; on nous ruine en fêtes.
L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le Curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône[N 10]
Le Financier, riant de sa naïveté,
Lui dit : Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus : gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin.
Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'usage des gens.
Il retourne chez lui ; dans sa cave il enserre[N 11]
L'argent et sa joie à la fois.
Plus de chant ; il perdit la voix
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis,
Il eut pour hôte les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avait l'œil au guet ; et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l'argent. À la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus :
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.

— Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine, Le Savetier et le Financier, texte établi par Jean-Pierre Collinet, Fables, contes et nouvelles, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 291

  1. raccommodeur de savates et de souliers, cordonnier
  2. "se dit aussi en musique d'un certain roulement de la voix qui se fait en passant d'une note à l'autre" (dictionnaire de l' Académie Française. 1694), donc trilles ou vocalises
  3. Les sept sages de Grèce sont les premiers législateurs légendaires de cités grecques, des hommes politiques et philosophes grecs : Solon (d'Athènes), Thalès (de Millet) et Chilon (de Sparte) ; Bias (de Priène), Anacharsis (prince scythe), Pittacos (de Mythilène) et Cléobulon (de Lindos)
  4. Allusion aux pièces d'or cachées dans les coutures des vêtements
  5. fermier des impôts publics
  6. gai, rieur
  7. je n'entasse guère le gain d'une journée sur le gain d'une autre
  8. "Ni trop haut, ni trop bas" (dictionnaire de Furetière)
  9. ou chômer. Malgré la suppression de 17 fêtes chômées (vers 1664) par le Louis XIV et Colbert avec l'accord de l'archevêque de Paris et des évêques du royaume, il reste encore 38 fêtes chômées en plus des dimanches.
  10. Les jours de fêtes chômées sont annoncées dans le prône (l'homélie, où l'on fait l'éloge d'un saint chaque semaine) de la messe du dimanche
  11. enferme

Adaptations

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