Protochronisme

Copie de la première planche du Livre de Vélès, un ouvrage pseudo-historique slave.

Le protochronisme (du grec ancien : πρώτος prõtos, « premier » + χρόνος chronos, « temps », en traduction « le premier temps, l’ancien temps ») est une tendance moderne du nationalisme culturel qui consiste à postuler, pour chaque peuple, des racines remontant à l'Antiquité ou à la Préhistoire et un développement propre, séparé des peuples voisins, dont les influences sont minimisées voire niées. C’est un courant pseudo-historique très répandu en Asie et dans les pays anciennement communistes, dont les dictatures ont promu ce courant (qui les précède, mais sans avoir été aussi influent auparavant).

Il vise également à « démontrer » que les ancêtres réels ou revendiqués des habitants de ces pays (Slaves anciens, Illyriens, Proto-Bulgares, Macédoniens antiques, Daces, Proto-Turcs, Homo erectus de Chine ou hommes du pré-Jomon au Japon), non seulement seraient les ancêtres directs et exclusifs des populations actuelles, mais qu'ils existaient avant tous les autres peuples de l’Antiquité (y compris, en Europe, avant les Grecs anciens et les Romains), qu'ils remonteraient directement selon les pays aux anciens Indo-Européens (voire, selon les versions, aux « Aryens » ou à Noé) ou aux populations préhistoriques, et enfin qu'ils auraient disposé de civilisations bien plus élaborées que celles reconnues par les historiens.

Le protochronisme décrit les États multiculturels et pluri-ethniques du passé (comme, en Europe du Sud-Est : l’Empire byzantin, la Hongrie médiévale, les principautés danubiennes, la Dobrogée ou le royaume bulgaro-valaque) comme des pays mono-ethniques ou même des nations au sens moderne du terme (respectivement grecque, magyare, roumaine ou bulgare) : chaque pays s’approprie le passé en y projetant son identité actuelle[1].

Des professeurs comme Jean Ravenstein de l’université d'Aix-Marseille définissent le protochronisme comme une « rétroprojection nationaliste ». Il est particulièrement développé (au point que ses thèses sont présentes dans les livres scolaires) en ex-Yougoslavie, Albanie, Bulgarie, Macédoine du Nord, Roumanie, Russie, Turquie, Irak, Iran, Chine, Japon ou encore en Inde (entre autres).

Exemples de protochronisme

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On peut identifier au niveau mondial une grande variété de thèses, pour la plupart motivées par le nationalisme sur le plan idéologique.

  • Dans la vision eurocentriste de l’Histoire, la Grèce antique est vue comme l’origine à partir de laquelle « la » (sous-entendu seule) civilisation se serait diffusée dans le monde entier.
  • L’Ancien Testament et les innombrables commentaires et avatars qu’il a suscités sont la base d’une abondante littérature protochroniste qui ressurgit régulièrement pour tenter d’étayer la Table des peuples biblique par la réinterprétation et la sélection des connaissances actuelles en archéologie, ethnologie et linguistique[2].
  • En Grande-Bretagne, France et Allemagne, l’idée d’une « très ancienne civilisation européenne remontant à l’optimum climatique de l'Holocène et qui aurait duré d’environ 9000 à 5000 ans BP », recyclant ou non le mythe des Hyperboréens[3]. En Angleterre, Stephen Oppenheimer écrit que l’arrivée des peuples germaniques anglo-saxons serait beaucoup plus ancienne que ne l’atteste l’histoire, remontant au retrait du glacier qui recouvrait la Grande-Bretagne il y a onze mille ans : il entend ainsi affirmer que les Anglais modernes seraient antérieurs aux Celtes et au moins aussi natifs que les Gallois et que les Écossais[4]. En France, l’ouvrage majeur date de 1822 : c'est l’Histoire philosophique du genre humain de Fabre d’Olivet[5]. Des découvertes archéologiques réelles mais réinterprétées sont parfois utilisées pour étayer la thèse de la « très ancienne civilisation européenne » : en 2005, le quotidien britannique The Independent annonça ainsi la découverte de vestiges de cette civilisation sur une aire de plus de 600 km de long couvrant l’est de l’Allemagne, la Tchéquie, la Slovaquie et l'Autriche. Selon ce quotidien, il y aurait eu plus de 150 temples de bois et de terre édifiés entre 6800 et 6600 avant le présent, soit 2 000 ans avant les pyramides d’Égypte et le site mégalithique de Stonehenge (Angleterre méridionale). L’article relie ces artefacts à la culture rubanée et un temple de pas moins de 150 mètres de diamètre, entouré de quatre fossés, trois remblais de terre et deux palissades se trouverait sous la ville de Dresde selon l’archéologue Harald Staëble. Peut-être en raison du « petit âge glaciaire de Misox-Finse », ces temples auraient disparu après une période de deux ou trois siècles, pour ne réapparaître que 3 000 ans plus tard à l’âge du bronze-moyen[6].
  • En France sous le Second Empire, le faussaire Denis Vrain-Lucas prend dans ses lettres des positions typiquement protochronistes : la civilisation gauloise avec ses druides serait supérieure aux autres et inspire Rome, Newton aurait presque tout copié sur Pascal... mais Vrain-Lucas a été démasqué par Michel Chasles[7]. Depuis, l'idée d'une filiation directe entre les Gaulois et les Français modernes ressurgit régulièrement[8] de même que l'idée selon laquelle la Francie mérovingienne serait la première manifestation d'une France monarchique et catholique devenue « fille aînée de l'Église » par la conversion de Clovis Ier[9],[10],[11].
  • Dans l’historiographie catholique du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, la séparation des Églises d'Orient et d'Occident était présentée comme un « schisme des églises d’Orient sortant du giron de l’Église catholique romaine » comme si l’église du premier millénaire était l’actuelle Église catholique aux 21 conciles alors qu’en fait, cette Église d’avant la séparation était une pentarchie partageant la doctrine des sept premiers conciles et accordant au Pape la dignité honorifique de primus inter pares mais non l’infaillibilité ou une autorité doctrinale sur les quatre autres Patriarches, et encore moins des pouvoirs temporels : on ne peut donc pas, historiquement, parler d’Église catholique ou d’Église orthodoxe avant la séparation ou accuser l’une de s’être séparée de l’autre ; on peut seulement parler d’une église trinitaire ou d’une pentarchie ayant connu un clivage Occident-Orient au XIe siècle[12].
  • En Suède, Nils Ragvaldsson (v.1380-1448), les frères Johannes (1488-1544) et Olaus Magnus (1490-1557), ainsi qu'Olof Rudbeck (1630-1702) tentent de prouver que les Suédois avaient pour ancêtres directs les Goths : cette croyance prospère au XVIIe siècle quand, après la Guerre de Trente Ans, la Suède devient une grande puissance, et surtout au XIXe siècle avec le nationalisme romantique et les Vikings comme figures héroïques[13].
  • En Pologne à partir de la fin du XVIe jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe siècle, lorsque le « sarmatisme » fut une croyance de la petite noblesse polonaise (szlachta) qui affirmait descendre en droite ligne du peuple antique des Sarmates établi entre le Don et l'Oural, et en avoir hérité la vaillance, le courage et le goût de la liberté[14].
  • En Hongrie depuis le début du XIXe siècle, les Magyars sont présentés comme une composante de l'Empire hunnique dès le IVe siècle et du Khaganat avar au VIe siècle, anticipant ainsi de cinq siècles l'arrivée des Magyars dans le bassin du moyen Danube et présentant la Pannonie comme un État proto-hongrois précédant à la fois les Slaves et les Valaques dans ce périmètre[15],[16] : selon ce point de vue, les Magyars d'outre-frontières actuels (devenus un enjeu dans la politique intérieure hongroise sur le thème de leurs droits historiques) sont les « îlots résiduels » d’une population hongroise initialement uniforme dans tout le bassin du moyen Danube (appelé « Bassin Pannonien » en Hongrie, improprement car la Pannonie se trouvait seulement sur la rive droite du Danube). Cette « population exclusivement magyare » aurait été progressivement submergée à partir du XIIIe siècle par « l’arrivée massive d’immigrants allogènes » slaves ou valaques et la diversité des populations de la Hongrie d’avant 1918 serait le fruit d’une « immigration tardive », et le traité de Trianon serait l'injuste aboutissement d’un processus de « submersion de la population originelle ». Beaucoup d’auteurs et de cartographes hongrois considèrent toute autre thèse comme « fausse » et « inventée »[17],[18].
  • Des populations minoritaires d'Europe, isolées dans des massifs montagneux et ayant soit des langues, soit des dialectes ou des traditions particulières, comme les Basques pyrénéens, les Houtsoules des Carpates ukrainiennes ou les Saracatsanes des Balkans, ont également été, concernant leurs origines, l'objet d'hypothèses protochronistes, les faisant remonter à la préhistoire (ou, dans les cas des Houtsoules, aux tout premiers Slaves)[19], alors que d'autres auteurs pensent qu'il s'agit de cultures issues d'une « pidginisation pastorale » dans laquelle des composantes linguistiques diverses et parfois anciennes ont pu entrer, mais qui sont d'origine relativement récente[20].
  • Dans les Balkans, région dont Winston Churchill disait qu'elle « a tendance à produire plus d'histoire qu'elle ne peut en consommer »[21], l’historiographie protochroniste postule que les Illyriens, les Thraces et les Daces sont les plus anciennes civilisations au monde, les premières à avoir inventé l’écriture, et que les ancêtres des Grecs et des Latins étaient en fait des tribus issues de ces peuples, ayant migré en Grèce ou en Italie : cette pseudohistoire a été développée par les systèmes communistes albanais, bulgare et roumain pour « enseigner » aux habitants, dès l'école primaire, que depuis toujours ces pays pouvaient se suffire à eux-mêmes sur tous les plans et n’avaient rien à attendre du monde extérieur, qu’ils ont, au contraire, « ensemencé ». Pour étayer ces thèses, des artefacts apocryphes anciens (comme le Codex Rohonczi) ou plus récents (comme les tablettes de Tărtăria supposées dater de 7 300 ans avant le présent), ont été utilisés et ont fait l’objet d’études et de publications d’aspect scientifique, mais dont les sources sont soigneusement triées et les assertions invérifiables par d’autres chercheurs[22]. Toujours dans le but d’accroître leur crédibilité, les protochronistes, une fois le communisme abandonné dans leurs pays, ont donné à leurs hypothèses un aspect mystique en avançant que les religions des Illyriens, Thraces et Daces seraient parmi les plus élaborées ayant existé à l’époque dans le monde, et s’inscriraient dans la « civilisation de l’ancienne Europe » supposée par l’archéologue Marija Gimbutas (1921-1994)[23]. Ces postulats sont contestés par le milieu universitaire dont les représentants expriment à ce sujet un profond scepticisme[24]. Dans ces pays, le protochronisme s'est ainsi manifesté :
    • en Albanie, sous le dictateur communiste Enver Hoxha qui soutenait la théorie de Zacharie Mayani affirmant que les Albanais, liés à la civilisation étrusque et aux Pélasges, descendraient directement des Illyriens antiques, en dépit des linguistes qui, eux, postulent une origine thrace pour les Albanais et expliquent que l’illyrien est devenu illyro-roman à la manière dont le celtique de Gaule est devenu gallo-roman[25] ;
    • en Bulgarie, contrairement à son homologue albanais qui ne jurait que par les Illyriens, le dictateur communiste Todor Jivkov promeut les études sur les racines thraces des Bulgares modernes, qui existent, mais ne sont pas exclusives ; sa fille Lioudmila Jivkova crée l’« Institut de Thracologie » comme section de l’Académie Bulgare des sciences. Quant aux Proto-Bulgares, ce seraient selon la théorie « iranienne », des tribus de cavaliers iraniens, en provenance du mont Iméon dans le Pamir, et fondateurs, selon l’académicien bulgare Petăr Dobrev, d’une grande civilisation appelée Bulkh (« Balkh » en Bactriane, d'où viendrait le nom de Balkans[26]). La génétique permettrait de trouver les origines des premières tribus slaves au nord de l’Asie centrale, autour de la chaîne de montagnes de l’Oural il y a environ 10 000 ans. Les partisans de cette théorie « iranienne » affirment aussi que les mots d'origine alane en bulgare (qui est une langue slave) ne proviennent pas des Iasses (des Alains installés au XIe siècle en Bulgarie, Hongrie et Moldavie), mais démontreraient l’origine iranienne des Proto-Bulgares, qui se seraient installées dans l’actuelle Ukraine au Ve ou VIe siècle : les Alains et les Slaves en seraient les descendants directs. Une partie d’entre eux auraient rejoint les Balkans, tandis que d’autres auraient émigré entre le IVe et le Ve siècle vers l’Europe centrale, dans la région de la haute Vistule (Galicie), fondant l’« Empire » de Croatie blanche[27].
    • dans les pays issus de la fragmentation de l’ex-Yougoslavie, les auteurs d’histoire-fiction sont aussi très prolifiques sur internet, et promeuvent la théorie dite « iranienne » : en Croatie, le nom « Horouathos » figurant dans deux textes de la « pierre de Tanaïs », inscription grecque de l’an -520 retrouvée dans le port de Tanaïs sur la mer d'Azov, en Crimée[28] est interprété comme signifiant « Croate », de même que celui de la ville de Cracovie ou des montagnes Carpates, et bien d’autres noms, qui seraient issus de Horvat dans cette théorie ; il circule également dans ces pays l'idée que les Serbes modernes seraient issus, au choix, d'une tribu iranienne antique du Nord-Caucase (les Serboi), ou bien de la « tribu perdue d’Israël » (la même origine est parfois attribuée aussi aux Amérindiens), les thèses de la continuité sumériano-hongroise et étrusco-hongroise combinées avec l’idée de l’invention de l’écriture par les anciens Hongrois, et d’autres[29] ;
    • en Roumanie, les racines du protochronisme sont des doctrines nationalistes d’inspiration maurrassienne qui ont été diffusées dans le pays (surtout à partir des années 1930) mais n’étaient pas prises en considération dans le monde universitaire, jusqu’à ce que le « national-communisme »[30] du régime dictatorial présidé par Nicolae Ceaușescu les intègre dans son corpus idéologique pour légitimer son isolationnisme et son culte de la personnalité qui le plaçait dans la lignée des héros nationaux du passé, chefs d’un peuple n’ayant besoin d’aucune influence extérieure[31] ;
    • dans la communauté Tsigane de Roumanie, les « Sigyens » (Siguennoi) ancien peuple nomade cité par Hérodote au nord du Danube[32], est interprété, en raison de sa ressemblance phonétique avec le mot « Tziganes » (Atsiganoi) comme un argument pour anticiper de plus de mille ans l'arrivée des Roms en Europe, et surtout pour affirmer que ces derniers vivaient dans l'actuelle Roumanie avant les Roumains[33].
  • Les nationalistes grecs présentent les Pélasges, les Thraces, les Illyriens, les Dardaniens, les Troyens et les anciens peuples d'Asie mineure comme des « Grecs anciens »[34], permettant de présenter l'Albanie et les régions de Thrace et de Macédoine comme des territoires « originellement grecs»[35].
  • Certains courants sionistes considèrent que l'Ancien Testament relate la réalité de l'histoire du peuple juif et que celui-ci n'a pas puisé à de multiples racines culturelles ni subi de nombreuses influences exogènes mais a maintenu depuis cinq millénaires une même identité nationale historique dont l'identité israélienne moderne[36] serait directement issue et qui serait basée sur la fidélité religieuse et les persécutions constamment subies pour cette raison[37].
  • en Turquie, dès l’époque d’Atatürk et sous son égide, l’ethnie et la langue turques, substituts laïcs à l'islam, sont présentées comme antérieures en Anatolie à toutes les autres civilisations connues, et comme leur principale composante que l'historiographie internationale refuserait de reconnaître[38].
  • au Liban, le mouvement phénicianiste fait remonter les communautés non-musulmanes actuelles directement à la Phénicie antique[39].
  • en Irak, le dictateur Saddam Hussein utilisait fréquemment une rhétorique et des images impliquant un lien direct du pays contemporain avec l'ancienne civilisation mésopotamienne, notamment Sumer et Babylone.
  • en Iran, le chah Mohammad Reza Pahlavi a tenté, comme Atatürk en Turquie, d’établir une identité nationale laïque en faisant appel à l’Empire perse.
  • en Chine, la théorie selon laquelle l’Homo erectus en Chine (hommes de Pékin ou de Lantian) serait un ancêtre des populations chinoises modernes, est officielle et enseignée dans les écoles[40].
  • en Inde, le gouvernement de Narendra Modi est connu pour avoir commandité des recherches visant spécifiquement à montrer que les populations hindoues descendraient directement des « premiers habitants » des régions qui constituent l'Inde moderne, afin d'en tirer une primauté culturelle et politique, et réviser l'enseignement de l'histoire, contre l'idée que plusieurs migrations de masse (notamment originaires d'Asie centrale) ont participé à la constitution démographique et culturelle du pays[41].
  • au Japon, la théorie de la « continuité » et du « peuple homogène » considère que la population de l’archipel n’a plus connu aucun apport extérieur ou transformation génétique depuis son premier peuplement à l’époque paléolithique, établissant ainsi une lignée ininterrompue jusqu’à aujourd'hui. Définie par des historiens et anthropologues de la fin des années 1940, tel le président de la Société anthropologique de Tōkyō de l'époque Kotondo Hasebe, cette hypothèse est élevée au rang de modèle dans les années 1950 et 1960 à travers le concept de « changements microévolutionnaires » établi par Hisashi Suzuki, de l'université de Tokyo, sur la base d’analyses craniométriques de milliers de squelettes découverts après la fin de la guerre[42]. Elle reste le paradigme de l’ethnogenèse japonaise jusqu’aux années 1970, et, malgré les travaux de Takeo Kanaseki qui, depuis les fouilles menées à Doigahama (Yamaguchi, à l’extrémité ouest de Honshū) montrent que le peuple japonais est issu d’un métissage[43], continue à être enseignée dans de nombreux établissements scolaires et universitaires.

Au sein de l'afrocentrisme, un courant apparenté au nationalisme noir des années 60 aux États-Unis et partagé par certains promoteurs du panafricanisme, certaines personnes postulent qu'il a existé, bien avant les grandes civilisations de l'Antiquité[Lesquelles ?], un vaste empire africain dominant le monde avec des institutions et des technologies extrêmement avancées, qui aurait ensuite été renversé par des barbares blancs et volontairement effacé de l'Histoire pour justifier — des milliers d'années plus tard — l'esclavage et la colonisation[réf. nécessaire].

Contexte du protochronisme

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Ces théories sont anciennes mais elles se nourrissent de :

  • l'existence de nombreux pays en Europe centrale et orientale et en Asie moins importants géopolitiquement que les grands pays riches et anciens d’Europe de l'Ouest. Ces pays ont parfois des universités et des organisations scientifiques moins riches et moins contrôlées, ce qui génère des complexes nationaux ou une certaine liberté de diffusion d'idées pseudoscientifiques. Cela peut se répercuter en histoire et en archéologie par la recherche d'origines anciennes et d'une fausse antériorité civilisationnelle. Les étrangers y trouvent aussi un terrain de jeu pour l'invention de sites archéologiques extraordinaires, ce que les autorités de ces pays peuvent laisser faire voire encourager pour favoriser le tourisme ou la fierté nationale (exemple : pyramides de Bosnie).
  • des réactions émotionnelles aux provocations médiatisées de personnages comme Vladimir Jirinovski (qui n’est pas historien) ayant, par exemple, affirmé que les locuteurs des langues romanes orientales proviendraient d'un « mélange de colons italiens venus sur les nefs génoises et de Tziganes danubiens, qui a envahi des terres appartenant légitimement à la Bulgarie, à la Hongrie et à la Russie »[45].

Exemple d'une controverse

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La plus ancienne écriture du Monde ?

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Le protochronisme n'hésite pas a réinterpréter les travaux des archéologues, par exemple les « écritures » et certains artéfacts du Néolithique des Balkans jugés apocryphes par la plupart des chercheurs. Le but est de prouver « la supériorité et l'antériorité » d'une « plus ancienne civilisation européenne »[46].

Les protochronistes des Balkans ont toujours recherché, pour étayer leur crédibilité, des chercheurs occidentaux prêts à diffuser leurs thèses : ainsi, l'américain Toby Griffen déclara avoir déchiffré, sur deux fusaïoles en terre cuite datées de 7 000 ans avant le présent, retrouvées à Jela, près de Belgrade en Serbie, la plus ancienne écriture connue, parfois baptisée « écriture de Vinča »[47], qui selon lui, affirmerait que "La déesse-ourse et la déesse-oiseau sont bien la déesse-ourse". Plusieurs dizaines de symboles ont ainsi été répertoriés[48].

De fait, si ces symboles ne sont pas apocryphes, comme l'affirment les chercheurs non-protochronistes, cela ferait de « l'écriture de Vinča » la plus ancienne, et de loin, des écritures connues (pour mémoire, les tablettes cunéiformes d'Uruk et les hiéroglyphes égyptiens, unanimement reconnus comme authentiques par tous les scientifiques, et d'ailleurs très nombreux, datant respectivement de 5 300 ans et 5 200 ans avant le présent). Toby Griffen, qui se présente comme « décrypteur de l'écriture de Vinča », enseigna les langues et la littérature étrangères à la Southern Illinois University d'Edwardsville, près de Saint-Louis. Il devint ensuite président de l'Association linguistique du Canada et des États-Unis. Il affirme avoir rassemblé des fragments provenant d'une « grande quantité de pièces » sur lesquelles étaient gravés des symboles. Il s'agissait, pour l'essentiel, d'outils (fusaïoles) et de figurines en terre cuite (ours, oiseaux ou humains portant des masques d'ours ou d'oiseaux). Partant du principe que les symboles figurant sur ces objets devaient avoir une signification religieuse, Toby Griffen affirma tenir une séquence de mots : « ours-déesse-oiseau-déesse-ours-déesse » dont il tira la phrase « la déesse-ourse et la déesse-oiseau sont bien la déesse-ourse » ou « sont bien la déesse-ourse, une seule déesse ». La démarche est la même que celle ayant permis de déchiffrer les tablettes rongorongo de l'île de Pâques, à ceci près que pour celles-ci, les décrypteurs ont pu relier les séries de symboles aux hymnes bien connus de la mythologie polynésienne.

Toby Griffen rapproche sa série « ours-déesse-oiseau-déesse-ours-déesse » de certains mythes tels que celui de la déesse grecque Artémis, déesse-chasseresse dont le mythe remonterait, selon lui, à de plus anciennes divinités liées à l'ours et à l'oiseau. Et le linguiste américain de souligner que le suffixe « ar(k)t- » est à mettre en rapport avec l'ours : « arktos » (=ours, en grec), "arctique" (parce qu'en rapport avec la constellation de la Petite Ourse, où se situe l'étoile polaire), « Artio » (déesse-ourse gauloise), « Arthur » (symbole de la 2e fonction indo-européenne aristocratique et guerrière dont l'ours est l'emblème)[49].

Notes et références

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  1. Voir aussi Jean-Simon Legascon : L'Europe face au défi nationaliste dans les Balkans in : Guerres mondiales et conflits contemporains no 217, janvier 2005, Presses universitaires de France.
  2. August Dillmann, (en) Genesis: Critically and Exegetically Expounded, Vol. 1, éd. T. and T. Clark, Édinbourg 1897
  3. Les premières mentions des Hyperboréens se trouvent au VIIIe siècle av. J.-C. dans Les Épigones et chez Hésiode : cf.: W. Burkert, (en) Lore and Science in Ancient Pythagoreanism, Harvard University Press 1972, p. 149, mais le premier auteur moderne qui a lancé la mode hyperboréenne est Johann Matthias Gesner en 1759 dans son livre Prolegomena Orphica, p. 647-668.
  4. Stephen Oppenheimer, The Origins of the British – A Genetic Detective Story, Constable and Robinson publ., 2006 (ISBN 1-84529-158-1) (réédition 2007, Constable & Robinson (ISBN 978-1-84529-482-3)).
  5. [1].
  6. « Des vestiges d’une très ancienne civilisation européenne auraient été découverts » in : Le Monde du 11 juin 2005.
  7. Gérard Coulon, Signé Vrain Lucas ! La véritable histoire d’un incroyable faussaire, éd. Errance, 2015.
  8. Jean-Louis Brunaux, Nos ancêtres les Gaulois, coll. « Points Histoire », Seuil 2008
  9. Hervé Pinoteau, La symbolique royale française, Ve – XVIIIe siècle, P.S.R. éditions, 2004, p. 127.
  10. Joseph Leclerc, Le roi de France, « fils aîné de l'Église ». Essai historique, in : Études, Paris, 1933, t. 214, p. 21-36.
  11. Cardinal Paul Poupard, La France fille aînée de l'Église, in : Revue des deux Mondes, Paris, juillet 1986, p. 37-45 et août 1986, p. 273-280.
  12. Lire en ligne Images et signes de l’Orient dans l’Occident médiéval, Presses universitaires de Provence, 1982, (ISBN 2821835922).
  13. (en) Steven P. Sondrup, Virgil Nemoianu, Nonfictional Romantic Prose : Expanding Borders, John Benjamins, coll. « International Comparative Literature Association's History of Literatures in European Languages Series », 2004 (ISBN 9027234515).
  14. Richard Butterwicki, (pl) Rozkwit i upadek I Rzeczypospolitej, Varsovie 2010, p. 27.
  15. Róna-Tas 1999, p. 262.
  16. Makkai 1994, p. 6-7.
  17. (hu) « Geönczeöl Gyula Fekete és Fehér Magyarország titkai. dr. hist. Bakay Kornél Kárpát-medence népessége a VIII-IX században », sur adoc.pub (consulté le ).
  18. Carte illustrant ce point de vue : [2].
  19. Pour les Basques, hypothèses de José Miguel de Barandiarán Ayerbe citée dans (en) Robert Lawrence "Larry" Trask, The history of Basque, London, New York, Routledge, , 458 p. (ISBN 0415131162 et 9782908132014, OCLC 34514667, lire en ligne), ou de Merritt Ruhlen, L'Origine des langues, Débats/Belin, 1997, (ISBN 2-7011-1757-7) ; pour les Houtsoules, les historiens ukrainiens O.D. Boïko, V.I. Borisenko, R. Ivantchenko, A. Kotsur, V. M. Litvine, V.M. Mordvintsev et A.G. Slyousarenko avancent l'hypothèse d'une population-relique des tout premiers Slaves, avant leur différenciation ; et pour les Saracatsanes, les universitaires grecs E. Makris et Poulianos les considèrent comme un peuple pré-Néolithique remontant aux Pélasges.
  20. Pour les Basques, Arnaud Etchamendy dans sa thèse Euskera-Erderak : basque et langues indo-européennes : essai de comparaison soutenue à l'université de Pau en 2007, suggère que le basque pourrait être issu d'une « pidginisation pastorale » entre des parlers indo-européens et des termes-reliques ibériques disparus : ce serait une langue initialement indo-européenne ayant évolué en langue agglutinante ; pour les Houstoules et les Saracatsanes, c'est Paul Robert Magocsi de l'université de Toronto qui défend l'hypothèse de la « pidginisation pastorale » : il souligne que le nom des Houstoules peut être rapproché du roumain hoțul (« voleur ») et du slave kochoul (« vagabond », « nomade ») tandis que celui des Saracatsanes peut être rapproché de l'aroumain sireacatsan (« misérable ») et du turc kara-kaçak ("obscur fuyard"), les deux populations n'était pas signalées avant le XVIIIe siècle.
  21. Cité par Predrag Matvejević dans le résumé de l'article « Des Balkans », in : Cahiers balkaniques no 36-37, 2008, 1-11, DOI : [3].
  22. (en) Eric Beckett Weaver : „An anthropological discussion of the significance of theories of cultural and historical primacy illustrated with examples from Hungary and Serbia ; (en) Katherine Verdery, National Ideology under Socialism : i dentity and Cultural Politics in Ceaușescu's Romania, University of California Press, 1991, (ISBN 0-520-20358-5).
  23. Marija Gimbutas, (en) The Goddesses and Gods of Old Europe: 6500 to 3500 BCE: Myths and Cult Images (2e ed.), University of California Press, Berkeley 1974, p. 17.
  24. Shan M. Winn, (en) Pre-writing in Southeastern Europe: The Sign System of the Vinča Culture ca. 4000 BCE, Western Publishers, Calgary 1891, p. 15 et [4].
  25. Eqrem Çabej, Eric Hamp, Georgiev, Kortlandt, Walter Porzig, Sergent et d’autres linguistes considèrent, dans une perspective paléolinguistique ou phylogénétique, que le proto-albanais s'est formé sur un fond thraco-illyrien vers le VIe siècle, à l'intérieur des terres, subissant un début de romanisation encore sensible dans la langue moderne, tandis que les emprunts les plus anciens de l'albanais aux langues romanes proviennent du diasystème roman oriental et non de l'illyro-roman qui était la langue romane anciennement parlée en Illyrie après la disparition de l'illyrien. Comme les lieux albanais ayant conservé leur appellation antique, ont évolué selon des lois phonétiques propres aux langues slaves et que l'albanais a emprunté tout son vocabulaire maritime au latin et au grec, ces auteurs pensent que les ancêtres des Albanais ont vécu à l'est de l'actuelle Albanie et que régions côtières de ce pays (thème du Dyrrhacheion) étaient initialement gréco-latines. De nos jours, l'existence en albanais de mots empruntés au roman oriental balkanique et en roumain de mots de substrat apparentés à des mots albanais corrobore cette manière de voir.
  26. Petăr Dobrev : Nepoznatata drevna Bălgarija (L'Ancienne Bulgarie inconnue), éd. Ivan Vazov, Sofia, 2001, (ISBN 954-604-121-1).
  27. En fait, selon la majorité des historiens et des linguistes (voir les articles correspondants) Balkan signifie « glissant » en turc, les Carpates doivent leur nom à la tribu dace des Carpes (les « rocailleux » en thrace), « Horouathos » dérive de l’ancien iranien hu-ur-vatha, mot vieux-perse qui signifie « allié », et Cracovie dérive du proto-slave « Krak » signifiant « chêne sacré ». Les premiers Croates, les Proto-Bulgares et d’autres groupes slaves étaient des populations d’agriculteurs et d’éleveurs qui furent simplement en contact avec le peuple nomade iranophone des Alains, sans en descendre pour autant : les traces de ces contacts tiennent principalement du domaine philologique et étymologique. Il n’existe pas de source écrite ancienne pour étayer la théorie « iranienne », qui ne peut s’appuyer que sur des légendes d’origine difficilement identifiable. L'interprétation de résultats du projet génographique sortis de leur contexte et les nombreux postulats indémontrables de la théorie « iranienne » rompt avec les études, concordantes depuis deux siècles, des ethnologues, historiens, linguistes et philologues, et fait fi des sources historiques concernant les migrations des Slaves comme De Administrando Imperio, écrit vers 950 par l'Empereur byzantin Constantin VII. La traduction du nom du document est De l'administration de l'Empire. Le titre original était Pros ton idion yion Romanon (À mon propre fils Romanos, grec: Προς τον ίδιον υιόν Ρωμανόν) et était destiné à être un manuel politique intérieur et étranger pour son fils et successeur, l'Empereur Romain II.
  28. la « Pierre de Tanaïs » est conservée au musée archéologique de Saint-Pétersbourg (Russie).
  29. Dimitri Kitsikis, La Montée du national-bolchevisme dans les Balkans, ed. Avatar, Paris 2008.
  30. L'expression « national-communisme » est due à l'analyste politique et historienne française Catherine Durandin de l'IFRI qui l'a prise aux dissidents roumains des années 1980 définissant le régime comme național-socialist (« national-socialiste ») en pastichant l'expression officielle socialism național (« socialisme national »).
  31. Mircea Martin, La culture roumaine écartelée entre communisme et nationalisme, in : Revista 22 n° 44 (660)/XIII, octobre-novembre 2002.
  32. Hérodote, Histoire, livre V,9 sur [5].
  33. En fait, la description qu'Hérodote donne des « Sigyens » (Siguennoi) correspond aux peuples scythiques, et leur dénomination n'est, selon tous les chercheurs, qu'une déformation de « Scythes » (Skuthoi) parvenue à Hérodote comme un nom différent, comme le serait le barbarisme "Scythiens" en français.
  34. Mythes historiques et paradoxes des Balkans
  35. ΚΑΤΑΓΩΓΗ ΤΩΝ ΕΛΛΗΝΩΝΟΙ ΡΙΖΕΣ, ΟΙ ΣΥΓΓΕΝΕΙΣ, ΟΙ ΓΕΙΤΟΝΕΣ ΔΗΜΟΠΟΥΛΟΣ Π. ΔΗΜΗΤΡΙΟΣ

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  36. Ilan Greilsammer, Identité juive, identité israélienne in : Cités n° 29, janvier 2007, pages 39 à 48, sur [6]
  37. Jacob Hoschander, (en) The Book of Esther in the Light of History, Oxford University Press, 1923
  38. Erol Özkoray : Turquie : le putsch permanent, éd. Sigest, 2010.
  39. Asher Kaufman, Phoenicianism: The Formation of an Identity in Lebanon in 1920, Middle Eastern Studies, Janvier 2001.
  40. Sur le site officiel [7], on peut lire dans l'article Site de l'homme de Pékin (colline Longgu, arrondissement de Fangshan, Pékin) : « En 1933, d'une caverne au sommet de la colline Longgu, on a déterré des fossiles de l'homme des cavernes datant, lui, de 18 000 ans. L'étude de son crâne a permis d'en déduire qu'il était l'ancêtre de la race jaune ». Voir aussi le deuxième épisode L’Asie de la série documentaire L’Aventure des premiers hommes de Fiona Cushley et Charles Colville, 2009, diffusé sur la chaîne France 5.
  41. (en) Jain Rupam, Tom Lasseter, « En réécrivant l'histoire, les nationalistes hindous visent à imposer leur autorité sur l'Inde », sur reuters.com, (consulté le )
  42. (en) Suzuki H., « Microevolutionary changes in the Japanese population from the prehistoric age to the present day », éd. J. Fac. Sci. Univ. Tokyo, Sec. V3, 1969, p. 279–308.
  43. (ja + en) Kanaseki T., Nagai M., Sano H., « Craniological studies of the Yayoi-period ancients, excavated at the Doigahama site, Yamaguchi Prefecture », Jinruigaku Kenkyu, no 7 (suppl.), 1960, p. 1–36.
  44. Thèses d'Arthur Posnansky et Rolf Müller, récusées notamment par le professeur Charles E. Orser, Jr.
  45. Vladimir Jirinovski cité sur : [8] et [9].
  46. (en) Eric Beckett Weaver : „An anthropological discussion of the significance of theories of cultural and historical primacy illustrated with examples from Hungary and Serbia ; Johann Chapoutot : Le national-socialisme et l'Antiquité, PUF 2008, (ISBN 978-2-130-56645-8) ; (ro) Alexandra Tomiță : O istorie « glorioasă ». Dosarul protocronismului românesc ("Une histoire glorieuse : le dossier du protochronisme roumain"), éd. Cartea Românească, Bucarest, 2007 ; (ro) Lucian Boia, Istorie și mit în conștiința românească ("Histoire et mythe dans la conscience roumaine"), éd. Humanitas, Bucarest 1997 ; (ro) Vladimir Tismăneanu - „Mythes protocronistes et baroque stalino-fasciste”, dans Evenimentul zilei du 6 février 2006 ; (ro)site protochroniste La Dacie immortelle.
  47. Écriture : les Balkans avant la Mésopotamie, "Neue Zürcher Zeitung", Zurich, Andres Wysling, in "Courrier international no 775", 8-14/09/05, p. 52
  48. « Vinča symbols » [livre], sur omniglot.com (consulté le ).
  49. Écriture : les Balkans avant la Mésopotamie, "Neue Zürcher Zeitung", Zurich, Andres Wysling, in "Courrier international" no 775, 8-14/09/2005, p. 52

Bibliographie

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Articles connexes

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Liens externes

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