Nouvelle autobiographie

L'expression « Nouvelle Autobiographie » a été forgée par Alain Robbe-Grillet sur le modèle de l'étiquette Nouveau Roman, à l'époque des deux premiers volumes de sa trilogie Romanesques (Le Miroir qui revient, 1984 ; Angélique ou l'enchantement, 1987 ; Les Derniers Jours de Corinthe, 1994). Elle a ensuite été formalisée par Roger-Michel Allemand dans ses différents travaux sur l'écrivain et sur le genre.

Définition

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Le terme « Nouvelle Autobiographie » est attesté au début des années 1990[1]. Dans son principe, « elle inverse les prémisses de fonctionnement et les protocoles de lecture » de l'autobiographie traditionnelle :

« En retournant l’orientation habituelle du récit de vie, elle remplace la reconstitution d’une identité par la découverte d’une altérité. Le sujet qui écrit y est posé d’abord comme être de langage, si bien que le discours qu’il tient sur lui-même devient invention de son existence[2]. »

En vertu de quoi, Alain Robbe-Grillet « renouvelle la pratique du genre, tant du point de vue des tenants et des aboutissants idéologiques que sur le plan de l’énonciation »[2], et récuse le contrat de sincérité défini par Philippe Lejeune dans Le Pacte autobiographique, en 1975, au motif que la mémoire serait intrinsèquement fabulatrice et que « le biais de la fiction est, en fin de compte, beaucoup plus personnel que la prétendue sincérité de l’aveu »[3].

La rénovation entreprise par Alain Robbe-Grillet n'est cependant pas isolée, puisqu'elle s'inscrit « dans un contexte général de remise en cause des canons autobiographiques, en opposition à l’effort de cohérence et à la prétendue authenticité des grands modèles (saint Augustin, Rousseau), qui auraient pour effet pervers de figer l’existence de leurs auteurs dans des moules stéréotypés »[2]. Dès 1977, dans Fils, dont le titre est déjà ambigu, Serge Doubrovsky avait délibérément pris à contre-pied l'essai de Lejeune en parlant d'autofiction et Robbe-Grillet n'a d'abord fait qu'emboîter le pas, « avançant une Nouvelle Autobiographie aux contours indéterminés, entreprise sans concertation par des auteurs souvent associés au Nouveau Roman »[2] : Nathalie Sarraute avec Enfance (1983), Marguerite Duras avec L'Amant (1984).

Reste que :

« pour ces écrivains, il ne peut plus être question de découvrir l’essence de sa vie, pas plus que d’identifier les principaux moments qui l’ont constituée par une restitution censément authentique des événements et des états de conscience du passé, dès lors soumis à un schéma rétrospectif unificateur et signifiant. Non seulement parce que les souvenirs retenus sont aléatoires, mais aussi parce que le discours que le sujet tient sur lui-même, au présent de l’écriture, induit des interprétations sémantiques décalées. L’attente de véracité sera donc déçue. En outre, l’activité mentale n’est pas univoque, elle est complexe : coexistant avec des pulsions physiques et psychiques, la conscience n’en est pas la seule composante. L’être est alors défini par sa polyvalence et son ambiguïté. À l’image des autres hommes, l’écrivain est donc à la fois responsable et irresponsable de ses mots. En conséquence de quoi l’objectivité de la retranscription est un mirage : c’est bien la subjectivité de l’anamnèse et les trous de mémoire y afférant qui orientent la disposition du récit[2]. »

À partir de la publication du Miroir qui revient, dans ses déclarations à la presse ou ses interventions de conférencier, Alain Robbe-Grillet s'en prend presque systématiquement au contrat de sincérité défini par Philippe Lejeune dans Le Pacte autobiographique — ce que n'avait pas fait Serge Doubrovsky au moment de Fils. Lejeune répond à ces attaques de façon assez narquoise[4] et les deux hommes s'affrontent. C'est Roger-Michel Allemand qui met fin à leur différend, en 1996, par un article qui pacifie le débat et les renvoie dos à dos[5]. Lejeune lui en donne acte, en 1997, dans une longue lettre dont il autorisera la publication[6].

Notes et références

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  1. Voir Pierre Van den Heuvel, « L'espace du sujet : la "Nouvelle Autobiographie" », Espace et Frontières, Munich, Iudicium, 1990, p. 85-90, et Roger-Michel Allemand, « Robbe-Grillet au Mesnil : images et représentations de la Nouvelle Autobiographie », Caractères, n° 7, juin 1992, p. 8-13.
  2. a b c d et e Roger-Michel Allemand, « Renouvellement et renaissance dans les Romanesques d’Alain Robbe-Grillet », @nalyses, vol. 3, no 2,‎ (ISSN 1715-9261, lire en ligne, consulté le )
  3. Alain Robbe-Grillet, Le Miroir qui revient, Paris, Minuit, , p. 17.
  4. Philippe Lejeune, « Nouveau roman et retour à l'autobiographie », dans Michel Contat (dir.), L'Auteur et le manuscrit, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 51-70.
  5. Roger-Michel Allemand, « Relire Les Mots après Lejeune et Robbe-Grillet », Analyses et réflexions sur Sartre, Paris, Ellipses, 1996, p.  68-75.
  6. « Lettre de Philippe Lejeune à Roger-Michel Allemand », Le « Nouveau Roman » en questions 5, Paris, Lettres modernes Minard, 2004, p. 231-234.

Bibliographie

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  • Roger-Michel Allemand, Duplications et duplicité dans les Romanesques d'Alain Robbe-Grillet, Paris, Lettres modernes Minard, 1991  (ISBN 2-256-90443-1).
  • Roger-Michel Allemand, « Alain Robbe-Grillet, Les Derniers Jours de Corinthe », La République internationale des Lettres, vol. I, n° 3, Paris, , p. 6.
  • Roger-Michel Allemand, Le Grand Œuvre des Romanesques d'Alain Robbe-Grillet, Lille, ANRT, 1995.
  • Roger-Michel Allemand et Christian Milat (dir.), Le « Nouveau Roman » en questions 5 : Une “Nouvelle Autobiographie” ?, Paris, Lettres modernes Minard, 2004  (ISBN 978-2-2569-1078-4).
  • Eileen Angelini, Strategies of Writing the Self in the French Modern Novel, Lewiston, The Edwin Mellen Press, 2001.
  • Aline Baehler, « Les autobiographies d’Alain Robbe-Grillet et de Nathalie Sarraute : des fictions motivées », Dalhousie French Studies, nº 18, printemps-été 1990, p. 19-30.
  • Jeanette Den Toonder, « Qui est-je ? ». L'écriture autobiographique des nouveaux romanciers, Bern, Peter Lang, 1999.
  • Alfred Hornung et Ernspeter Ruhe (dir.), Autobiographie & Avant-garde. Alain Robbe-Grillet, Serge Doubrovsky, Rachid Boudjedra, Maxine Hong Kingston, Raymond Federman, Ronald Sukenick, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1992.
  • Sjef Houppermans, Alain Robbe-Grillet autobiographe, Amsterdam, Rodopi, 1993.
  • Jerzy Lis, « Du Nouveau Roman à la Nouvelle Autobiographie », Études romanes de Brno, 2003.
  • Raylene O'Callaghan, « The Art of the (Im)possible. The Autobiographie of the French New Novelists », Australian Journal of French Studies, vol. 25, nº 1, janvier-, p. 71-91.
  • Raylene Ramsay, The French New Autobiographies: Sarraute, Duras, and Robbe-Grillet, Gainesville, University Press of Florida, 1996.
  • Sabine Schlickers, « Vom Nouveau Roman zur Nouvelle Autobiographie », in Andreas Gelz et Ottmar Ette (édit.), Der franzosischsprachige Roman heute : Theorie des Roman - Roman der Theorie in Frankreich und der Frankophonie, Tübingen, Stauffenburg, 2002, p. 173-84.
  • Michel Sirvent, "Une nouvelle autobiographie" in Georges Perec ou Le dialogue des genres, collection Monographique en Littérature Française Contemporaine 45 (Amsterdam/New York: Rodopi, 2007), p. 57-74.
  • Alfonso de Toro, « Die postmoderne “neue Autobiographie” oder die Unmöglichkeit einer Ich-Geschichte am Beispiel von Robbe-Grillets Le Miroir qui revient und Doubrovskys Livre brisé », in Sybille Grosse et Axel Schönberger (édit.), Dulce et decorum est philologiam colere, Berlin, Domus Editoria Europaea, 1999, p. 1407-1443.