Peuple et culture

Peuple et culture est un réseau d'associations d'éducation populaire fondé au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le réseau défend le droit à l'éducation et à la culture pour tous et tout au long de la vie.

Les principaux fondateurs sont Joffre Dumazedier, Bénigno Cacérès, Paul Lengrand, Joseph Rovan.

Historique[modifier | modifier le code]

Joffre Dumazedier a cherché, tout au long de sa vie, à créer une méthode de formation permettant de réduire les inégalités sociales. A partir de 1936, les prémices de cette méthode se développent d'abord au collège du travail de Noisy-le-Sec, puis à l'école des cadres d'Uriage, créée par le régime de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale[1]. En 1943, après le démantèlement de l'école par le gouvernement de Vichy, Joffre Dumazedier participe à la formation des résistants dans les maquis du Vercors[2] en organisant des séquences d'apprentissages menées par les maquisards eux-mêmes[3]. Il y fait la rencontre de Benigno Cacéres, également formateur dans les maquis du Vercors[4].

À la dissolution de l'École des cadres d'Uriage par Pierre Laval fin , des stagiaires se sont réorganisés pour se regrouper en "équipes volantes" qui vont de maquis en maquis pour former les jeunes résistants, la plupart ouvriers et paysans réfractaire au STO. Ces hommes et ces femmes croient au pouvoir qu'ont la pensée, la philosophie, l'histoire, la poésie, le théâtre, le chant et les arts de nourrir la résistance à la domination. Ils rêvent de rendre "la culture au peuple et le peuple à la culture". La pratique de l'entrainement mental sera utilisé dès 1943 par ces "équipes volantes" pour porter leur message d’espoir dans l’élaboration d’une culture nouvelle, inscrite dans un plan d’éducation populaire, porteur de l'esprit d'Uriage.

Le , le Comité départemental de Libération, fondé dans le Vercors, s’installe à la préfecture de l’Isère, et le de la même année, Dumazedier est nommé Secrétaire général de la commission Éducation de celui-ci. Il présente le , avec Paul Lengrand, un rapport demandant que la commission se transforme en mouvement Peuple et Culture, s’étendant d’ores et déjà en Haute-Savoie. Des contacts sont pris avec Jean Guéhenno, devenu le 1er septembre, directeur de la Jeunesse et de l’Éducation populaire, et qui fut en 1936 une forte conscience de la vie intellectuelle pour le partage de la culture. Nommé inspecteur de l’Éducation populaire, bousculant les administrations et associations intronisées, Dumazedier dépose avec son équipe les statuts de l’association en et l’agrément du ministère de l’Éducation nationale est acquis le .

L’objectif des fondateurs de Peuple et Culture est clairement affirmé dans un manifeste rédigé cette même année 1945. Il s’agit de « rendre la culture au peuple et le peuple à la culture »[5].

Héritiers des Soldats de l’An II et du Front populaire, de Condorcet et du Malraux de la guerre d’Espagne, les militants mettront en place, avec l’appui d’un État rénové, les institutions susceptibles de créer cette culture populaire qui ne saurait qu’être une culture commune à tout un peuple, commune aux intellectuels, aux cadres, aux masses : « [la culture] n’est pas à distribuer. Il faut la vivre ensemble pour la créer ».

À l’issue de l’Occupation, la Nation doit retrouver son unité et s’engager dans la bataille de la modernisation.

Il s’agit désormais de faire entrer dans les faits le programme d’action du Conseil national de la Résistance en contribuant à la promotion « d’une élite véritable, non de naissance, mais de mérite et constamment renouvelée par les apports populaires ».

Entre la Nation et l’individu, Peuple et Culture suscitera les langages, les symboles, les expressions collectives porteuses des nouvelles solidarités d’une nation industrielle s’inscrivant dans le sens du Progrès et de l’Histoire. Le Manifeste de Peuple et Culture[5] pose avec force les principes de base de l’engagement militant, et se pose d’abord comme un témoignage collectif : « Ouvriers, syndicalistes, ingénieurs, officiers, professeurs, artistes, nous nous efforcerons de poser suivant les réalités de l’époque, les bases d’une véritable éducation des masses et des élites ». L’éducation populaire, selon Peuple et Culture, doit élaborer des méthodes pédagogiques originales. Peuple et Culture assurera notamment le développement d'une méthode de travail intellectuel spécifique, initiée par Joffre Dumazedier : l'entraînement mental.

Des membres de Peuple et Culture sont très vite les moteurs de nombreuses initiatives dans le domaine culturel et de l'éducation en Isère et en haute Savoie : "Tourisme et Travail", "groupe d'Annecy Action théâtrale" (avec Bernard Bing et Gaby Monet), des centre d'éducation ouvrière (Annecy et Grenoble avec Louis Moreau), Bibliobus, Cinébus, Le centre inter-faculté (Grenoble) ou encore la compagnie des comédiens de Grenoble (qui y fit venir Jean Dasté).

Le Manifeste restera le document initiateur du mouvement jusqu’aux Assemblées générales de Nîmes (1989) et de Paris (1991-1993) ; celles-ci proposeront en effet de nouveaux textes qui, tout en restant fidèles aux finalités initiales, inscriront des perspectives en fonction des nouveaux défis au seuil du XXIe siècle[6].

Peuple et Culture Corrèze est créée au printemps 1951. Dans un département profondément rural dénué de structures culturelles, l’association engage un véritable travail pionnier : accueil des grandes troupes de la décentralisation théâtrale avec la constitution de réseaux de spectateurs actifs ; jalons d’une politique de lecture publique avec les veillées-lecture pour la découverte d’écrivains et de poètes ; formation intellectuelle, civique et artistique pour « ceux que l’école a quittés trop tôt » ; stages « congés-cadre jeunesse » fréquentés par de jeunes ouvriers et paysans qui quittent l’usine ou la terre pour une semaine et expérimentent ensemble tout à la fois réflexion sur des questions économiques, sociales, civiques, la photographie, la lecture, le cinéma et selon les saisons le ski ou la voile ; voyages d’études (qui mêlaient contacts directs avec des formes de vie ou d’organisation sociale et politique différentes et découverte des œuvres d’art dans les grands musées européens), séjours au Festival d’Avignon dès 1955 ; ciné-clubs dans les villages et les usines où sont projetés les films de Chris Marker, Alain Resnais, Joris Ivens, Roberto Rossellini, Georges Rouquier, Jacques Tati, Agnès Varda. (Les cahiers du cinéma de publient un texte d'André Bazin intitulé « Comment présenter et discuter un film » extrait de l’ouvrage Regards neufs sur le cinéma (1953)). C’est sur cet humus-là et à partir d’un large réseau humain constitué en profondeur sur plusieurs générations que Peuple et Culture développe aujourd’hui ses actions, dans une tradition « généraliste », considérant que les arts et la culture ne se limitent pas à des domaines spécialisés mais concernent tout ce qui est susceptible de relier les hommes dans l’espace et dans le temps.

International[modifier | modifier le code]

Jusqu'au début des années 1960, la dimension internationale des actions de Peuple et Culture se traduit essentiellement par l'envoi d'experts du mouvement à l'étranger, en Europe (Allemagne, Italie, Belgique, Yougoslavie…) et en Afrique du Nord (Algérie et Maroc) pour participer à des colloques et conférences internationales ou animer des sessions de formation. En retour, les Congrès et Universités de printemps et d'été accueillent régulièrement des représentants de structures étrangères. L'implication de Paul Lengrand dans les services de l'Unesco est également déterminante puisque plusieurs des missions effectuées par Peuple et Culture à cette époque, en Italie notamment, le sont à la demande de cette organisation. L'enjeu des relations internationales qui sont alors initiées est non seulement de donner une résonance plus large aux actions éducatives et culturelles expérimentées en France, de voir comment elles peuvent être adaptées à d'autres contextes, mais aussi de les confronter à d'autres approches, développées sur des territoires géographiquement ou culturellement plus ou moins éloignés.

Dans le même temps, les premiers voyages culturels (Helsinki en 1952 -accompagné par Chris Marker qui y tournera Olympia 52, ou encore Berne en 1954) ouvrent la voie d'une pratique qui ne cessera de prendre de l'ampleur au niveau national puis dans les associations régionales : il s'agit de déplacer un groupe à l'étranger pour lui faire vivre une expérience dépaysante et constructive à la fois, faire bouger et élargir ses repères. La création de l'Office franco-allemand pour la jeunesse (Joseph Rovan figurant au nombre des fondateurs de l'OFAJ) va d'ailleurs intensifier ce volet d'activités puisque, dès 1964, Pec organise dix stages franco-allemands avec son soutien, inaugurant une coopération qui ne se démentira pas.

Peuple et Culture compte de nombreux complices et partenaires internationaux et met en place chaque année des formations d'animateurs, des rencontres bi- ou pluri- nationales, des échanges interculturels, des voyages d'étude. Une session de coopération internationale regroupant 30 à 50 partenaires internationaux est organisée chaque année en partenariat avec l'OFAJ.

Aujourd’hui

Le Mouvement Peuple et Culture conçoit la mobilité internationale comme un outil pédagogique au service de l’individu et du collectif. Le voyage est un prétexte à l’apprentissage, à la découverte et à la reconnaissance de l’autre et de soi. L’ensemble des échanges est organisé selon le principe de réciprocité avec une rencontre dans chaque pays impliqué et une place pour toutes les langues en présence. L’animation linguistique est au cœur des échanges pour favoriser l’apprentissage et la découverte de l’autre. Plus d’une trentaine d’échanges interculturels est organisée chaque année par Peuple et Culture permettant à des jeunes de tous horizons de se déplacer et aussi d’accueillir des groupes.

L’association apporte une grande importance à l’expérimentation. Pour cela, différentes actions et projets sont mis en place : avec des jeunes sous main de justice (Protection Judiciaire de la Jeunesse, PJJ), jeunes sourd-e-s et malentendant-e-s, professionnel-le-s du travail de jeunesse, jeu de simulation des institutions dit Planspiel, cycle de Tandem en ligne, etc.

Les projets pilotes de Peuple et Culture constituent également des espaces d’apprentissage et d’expérimentation. Ils sont essentiels pour imaginer de nouveaux cadres et faire un pas de côté. A l’image du cycle franco-germano-polonais avec des jeunes sourd-e-s et malentendant-e-s, ces projets contribuent à la participation de toutes et tous à la vie publique.

Réseau Diversité et Participation

Le réseau Diversité et Participation a été créé en 2006 à l’initiative de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse. Son rôle est de promouvoir les échanges de jeunes entre les régions Paris/Île-de-France et Berlin/Brandebourg. Il rassemble plus de cent associations ou institutions et se positionne comme un acteur social pour intervenir sur des thèmes structurels, comme les inégalités et les discriminations subies par la jeunesse. Il s’adresse notamment aux jeunes dont le cadre social, l’éloignement géographique, la situation familiale ou encore la formation ne facilitent pas un contact avec l’autre pays. Sa conviction est que l’ouverture et la connaissance de l’autre permettent de dépasser ces obstacles, grâce à des échanges de jeunes et des projets internationaux.

Le réseau Diversité et Participation est aujourd’hui co-animé par le Mouvement Peuple et Culture, le Centre français de Berlin, la Mission locale des Bords de Marne et le Jugendbildungszentrum de Blossin. Une rencontre de l’ensemble du réseau est organisée chaque année, tour à tour en France et en Allemagne. Depuis 2006, plus de 800 rencontres franco-allemandes ou trilatérales ont vu le jour dans le cadre des activités du réseau. Elles ont permis à plus de 16 000 participantes et participants de vivre une situation d’échange interculturel. Près de cinquante rencontres de jeunes et cinq rencontres professionnelles sont organisées chaque année. La quantité et la qualité des projets franco-allemands réalisés grâce au réseau, permettent de conforter sa légitimité sur le terrain.

En parallèle, c’est un espace de dialogue pour les acteurs des rencontres, des chercheur-euse-s et les représentant-e-s de la vie politique engagés auprès de la jeunesse. Les différences d’approches entre la France et l’Allemagne ont considérablement enrichi le travail réalisé au sein du réseau.

Nombre de personnes concernées par type d’actions entre 2017 et 2020

  • 100 personnes ont participé aux journées de formation aux réseaux, dispositifs et pédagogie OFAJ
  • 54 personnes ont été accompagnées individuellement pour le montage de projets
  • 27 personnes ont suivi un cycle de formation à l’animation interculturelle et linguistique
  • 260 personnes ont participé aux 4 rencontres du réseau Diversité et Participation
  • 74 personnes ont participé aux 5 échanges de professionnel-le-s
  • 278 jeunes ont participé aux 12 échanges interculturels
  • 6100 vues sur les vidéos d’animation linguistique
  • 9314 vues des vidéos diffusées en lien avec des actions en Ile-de-France

Fonds citoyen franco-allemand

Depuis 2020, Peuple et Culture accueille le poste de référente Ile-de-France pour le Fonds citoyen franco-allemand. Signe de l’importance du dialogue intergénérationnel et de la participation citoyenne du Mouvement. Le Fonds citoyen franco-allemand soutient les associations et les initiatives citoyennes franco-allemandes pour renforcer les liens entre les personnes de part et d’autre du Rhin. Un budget annuel soutient les projets avec un focus sur l’intergénérationnel et l’égalité homme femme.

Méthodes[modifier | modifier le code]

Arpentage[modifier | modifier le code]

L’arpentage est une proposition d’exploration, par un groupe de personnes, de documents porteurs d’un savoir référencé dans la catégorie du « savoir savant », qu’il est souvent difficile d’aborder seul, sans clés de lecture[7]. L'arpentage a plusieurs objectifs[8] :

  • la désacralisation du savoir et de l'objet livre ;
  • la simplification de la pensée d'un auteur pour le rendre accessible ;
  • le partage égalitaire d'opinions entre des personnes issues de milieux différents ;
  • la libération de la parole autour de sujets politiques.

Entraînement mental[modifier | modifier le code]

L'entraînement mental est une méthode d'autoformation collective ayant de nombreuses applications, comme la conduite de réunion[9],[10], la méthodologie de projet, la gestion de conflit ou encore l’élaboration de décisions collectives[2].

En Belgique[modifier | modifier le code]

Peuple et Culture Wallonie/Bruxelles est une association autonome, active depuis plusieurs années en Belgique[2] et subventionnée, depuis 1978, par la Fédération Wallonie Bruxelles, comme association d’Education permanente des adultes[11]. P.E.C. a choisi d’agir prioritairement sur le terrain de l'action culturelle et de la formation, contre les inégalités, les aliénations, les conditionnements et toutes les formes d'exclusions qui font obstacles à la démocratie dans les institutions, à l'autonomie, à la responsabilité et à la citoyenneté des personnes.

C’est en référence à cette idée de rendre la culture au peuple et le peuple à la culture, et sur base volontaire des personnes fondatrices, qu’est né « Peuple et Culture – Wallonie » en 1977. Par la suite, « Peuple et Culture – Wallonie » est devenu « Peuple et Culture Wallonie/Bruxelles » (PEC – WB). PEC – WB se présente comme une organisation autonome qui rassemble en Belgique les adhérents francophones dans une association distincte de l’association française à laquelle elle a été liée historiquement[2].

Cette description de l’identité du mouvement PEC – WB est liée à l’affirmation de la solidarité réciproque des régionales du mouvement sur tous les plans : économique, culturelle et politique, dans le cadre des valeurs qui fondent la pluralité d’un projet qui remonte aux sources de PEC en 1945.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Jean-Pierre Rioux, « Une nouvelle action culturelle ? L'exemple de "Peuple et Culture" », La Revue de l'économie sociale, avril-juin, 1985, p.35-47.
  • Jean-Pierre Rioux, « Peuple et Culture », dans Jacques Julliard, Michel Winock, Dictionnaire des intellectuels français. Les personnes, les lieux, les moments, Paris, Éditions du Seuil, 2009, p.1085-1086.
  • Guy Saez, « Mythe des origines et filiations ambiguës : la naissance de Peuple et Culture », dans Jean-William Dereymez (dir.), Être jeune en Isère (1939-1945), Paris, L'Harmattan, 2001, p.169-188.
  • Vincent Trojer, « De l'éducation populaire à la formation professionnelle, l'action de "Peuple et Culture" », Sociétés contemporaines, no 35, 1999, p.19-42.

Liens externes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Les ouvriers de l'entrainement mental, Peuple et Culture, Philippe Meirieu, Joffre Dumazedier, Penser avec l'Entrainement Mental, Lyon, Chronique Sociale, , 248 p. (ISBN 978-2-85008-492-8), p. 13-16, 233-235
  2. a b c et d Peuple et Culture Wallonie-Bruxelles, Education populaire, La puissance de penser le pouvoir d'agir, Mons, Editions du cerisier, , 336 p. (ISBN 2-87267-202-8), p. 23-34
  3. Pierre Bitoun, Les hommes d'Uriage, Paris, La Découverte, , 293 p. (ISBN 2-7071-1771-4 et 978-2-7071-1771-7, OCLC 299437828, lire en ligne)
  4. Catherine Duray, Blandine Voineau, Christian Lamy, Ce que le monde associatif nous apprend des leaders, Clermont-Ferrand, CREFAD documents, , 234 p. (ISBN 978-249-242-10-20), p. 16-21
  5. a et b Peuple et Culture, « Manifeste de Peuple et Culture », sur Peuple et Culture, (consulté le )
  6. 1945-1995, 50 ans d'innovations au service de l'éducation populaire
  7. Peuple et Culture, « L'arpentage », sur Peuple et Culture, (consulté le )
  8. « L’arpentage, lire ensemble pour lire mieux », sur Bondy Blog, (consulté le )
  9. Peuple et Culture, Fiche « Entrainement Mental », L'entrainement mental appliqué à la conduite des réunions(consulté le 10 mai 2024)
  10. Jacques Barbichon, Peuple et Culture Fiche Méthodes, Entrainement mental et conduite de réunion(consulté le 10 mai 2024)
  11. décret du 17 juillet 2003 relatif à l'action associative dans le champ de l'éducation permanente