Méthode de Ruffini-Horner
En mathématiques et algorithmique, la méthode de Ruffini-Horner, connue aussi sous les noms de méthode de Horner, algorithme de Ruffini-Horner ou règle de Ruffini, se décline sur plusieurs niveaux. Elle permet de calculer la valeur d'un polynôme en x0. Elle présente un algorithme simple effectuant la division euclidienne d'un polynôme par X − x0. Mais elle offre aussi une méthode de changement de variable X = x0 + Y dans un polynôme. C'est sous cette forme qu'elle est utilisée pour déterminer une valeur approchée d'une racine d'un polynôme.
Histoire
[modifier | modifier le code]La méthode de Ruffini-Horner de recherche d'une valeur approchée de racine d'un polynôme est publiée à quelques années d'intervalle par Paolo Ruffini (1804-1807-1813) et par William George Horner[1] (1819-1845 posthume) mais il semble bien que Horner n'ait pas eu connaissance des travaux de Ruffini. La méthode de Horner est ensuite popularisée par les mathématiciens Auguste De Morgan et John Radford Young (en). Dans leurs premières publications, ces deux auteurs utilisent des méthodes de dérivations pour effectuer le changement de variable X = x0 + Y. Par la suite, ils présentent des versions ne faisant appel qu'à des techniques algébriques. La méthode de Ruffini-Horner est difficilement exploitable si le polynôme possède deux racines trop proches. Ruffini n'évoque pas ce problème mais Horner propose une procédure spéciale pour ce cas-là[2].
En tant que technique de changement de variable, on retrouve des algorithmes analogues, en Chine, pour l'extraction de racine n-ième, dans les Neuf Chapitres (263 apr. J.-C.)[3] et dans le monde arabe, dans l'œuvre de Al Samaw'al (XIIe siècle)[4]. Mais il semble bien que le Perse, Sharaf al-Dīn al-Tūsī (XIIe siècle) soit le premier à l'utiliser dans le cas général d'une équation de degré 3[5].
Valeur d'un polynôme en un point
[modifier | modifier le code]Soit
un polynôme[6] et x0 un nombre[7]. Le calcul de P(x0)
laisse à penser qu'il faut calculer chacune des puissances de x0, multiplier celle-ci par son coefficient ak puis faire la somme de ce que l'on a trouvé.
Si on calcule les puissances de x0 en multipliant successivement x0 par lui-même, le nombre nécessaire de produits est alors de n + (n – 1) + … + 2 + 1 = n(n+1)/2, quantité qui croît comme le carré du degré du polynôme. On peut améliorer la vitesse du calcul de xn
0 par une méthode d'exponentiation rapide, permettant de réduire le temps du calcul de P(x0) à une quantité qui croît comme n×ln(n). Ou plus efficacement encore, on peut commencer par calculer toutes les puissances de x0, ce qui nécessite n – 1 multiplications, puis multiplier par les coefficients, ce qui nécessite n nouvelles multiplications : le nombre total de produit est alors 2n – 1. La méthode de Horner consiste à combiner les deux itérations précédentes en une seule en effectuant le calcul comme suit :
- .
Le nombre de produits est alors réduit à n et l'on peut montrer que ce nombre est minimal : il n'est pas possible d'évaluer une fonction polynomiale en moins de n produits en toute généralité[8].
La méthode consiste donc à multiplier le premier coefficient par x0 et à lui ajouter le deuxième coefficient. On multiplie alors le nombre obtenu par x0 et on lui ajoute le troisième coefficient, etc. Elle s'organise très bien à l'aide d'un tableau dans lequel chaque case de la seconde ligne est obtenue en multipliant le coefficient de la case de gauche par x0 et en lui ajoutant le coefficient de la case du dessus.
Coefficients de P | an | an – 1 | an – 2 | … | a1 | a0 |
Facteur x0 | an | anx0 + an – 1 | (anx0 + an – 1)x0 + an – 2 | … | q0 | P(x0) = q0x0 + a0 |
Exemple pratique : Calcul de 4X3 - 7X2 + 3X – 5 pour X = 2
Coefficients de P | 4 | −7 | 3 | −5 |
Facteur 2 | 4 | 8 − 7 = 1 | 2 + 3 = 5 | P(2) = 10 − 5 = 5 |
Outre la réduction du nombre d'opérations, cette méthode peut éviter dans certains cas de manipuler des nombres très grands, et donc peut éviter les dépassements de capacité pour les calculs sur ordinateur. Si l'on prend par exemple le polynôme P(X) = X10 – 99X9, alors avec la méthode « classique », pour évaluer P(100), on doit calculer 10010 = 1020 auquel on retranche 99×1018, donnant un résultat erroné sur des logiciels calculant avec 15 chiffres significatifs. Avec la méthode de Ruffini-Horner, on a
conduisant au résultat correct 1009 = 1018 puisque le calcul de la mantisse n'a utilisé que trois chiffres significatifs.
Conversion de base de numération
[modifier | modifier le code]Cette méthode permet aussi d'effectuer une conversion rapide d'un nombre écrit en base x0 en écriture en base 10. En effet, si un nombre s'écrit, en base x0,
- ,
ce nombre vaut
- .
Il s'agit donc de l'évaluation d'un polynôme.
Exemple pratique : écriture en base 10 du nombre hexadécimal DA78
Coefficients | D (13) | A (10) | 7 | 8 |
Facteur 16 | 13 | 13 × 16 + 10 = 218 | 218 ×16+ 7 = 3 495 | DA78 = 3 495 × 16 + 8 = 55 928 |
Quotient d'un polynôme par X – x0
[modifier | modifier le code]Cette même méthode permet aussi d'obtenir la division d'un polynôme par X – x0. Soit .
La division euclidienne de P par X – x0 donne
où Q est un polynôme de degré n - 1.
Si on écrit et si on identifie les coefficients de même degré dans les deux membres, on obtient :
- pour tout k tel que 0 < k < n
Soit encore
- pour tout k tel que 0 < k < n
Les n valeurs de la suite q calculées ici sont précisément les n valeurs successives calculées dans le paragraphe précédent pour évaluer P(x0). La mémorisation de ces valeurs successives donne donc les coefficients du polynôme quotient, la dernière valeur étant celle du reste.
Application pratique : division euclidienne de 4X3 – 7X2 + 3X – 5 par X – 2
Il suffit de reprendre le tableau précédemment construit et de lire dans les cases de la seconde ligne les coefficients de Q.
Coefficients de P | 4 | − 7 | 3 | − 5 |
Coefficients de Q | 4 | 8 − 7 = 1 | 2 + 3 = 5 | Reste = 10 − 5 = 5 |
Donc
Changement de variable
[modifier | modifier le code]L'algorithme précédent permet donc d'effectuer la division euclidienne du polynôme P par X - x0. On peut alors écrire, en posant Y = X - x0.
En utilisant de nouveau l'algorithme pour P1, P2, ... Pn, on obtient successivement
...
Les nombres b0, b2, ... bn sont donc les coefficients du polynôme Q tel que Q(Y) = P(x0 + Y)
Illustration pratique : Si P(X) = 4X3 - 7X2 + 3X - 5 et que l'on cherche à écrire P(2 + Y), on applique 4 fois la méthode de division euclidienne par X - 2 :
Coefficients de P | 4 | − 7 | 3 | − 5 |
Coefficients de P1 | 4 | 8 − 7 = 1 | 2 + 3 = 5 | 10 − 5 = 5 |
Coefficients de P2 | 4 | 8 + 1 =9 | 18 + 5 = 23 | |
Coefficients de P3 | 4 | 8 + 9 =17 | ||
Coefficients de P4 | 4 |
Donc
Valeur approchée d'une racine
[modifier | modifier le code]Pour chercher la valeur approchée x d'une racine d'un polynôme P, on cherche un entier x0 tel que P(x0) et P(x0 + 1) soient de signe contraire. On sait alors, d'après le théorème des valeurs intermédiaires, qu'il existe une racine entre x0 et x0 + 1. On pose alors x = x0 + y/10. Le nombre x est racine de P(X) si et seulement si le nombre y/10 est racine de P(x0 + Y) = Q(Y). Ce polynôme Q se détermine grâce à la méthode de Horner. Enfin x est racine de P(X) si et seulement y est racine d'un polynôme R(X) obtenu en multipliant les coefficients bk de Q par .
Il s'agit alors de chercher une racine de R comprise entre 0 et 10 en utilisant un processus analogue : on cherche un entier x1 compris entre 0 et 9 tels que R(x1) et R(x1 + 1) soient de signe contraire. On sait alors qu'il existe une racine x de P comprise entre x0 + x1/10 et x0 + (x1 + 1)/10...
On détermine ainsi les décimales successives du développement décimal de x.
Exemple : algorithme de Ruffini-Horner pour l'extraction de la racine cubique de 18.
Il s'agit de trouver un réel x, racine du polynôme P(X) = X3 - 18. On sait immédiatement que P(2) < 0 et P(3) > 0, x est donc compris entre 2 et 3. On pose alors x = 2+ y/10 et on cherche le polynôme Q tel que P(2 + Y) = Q(Y).
Coefficients de P | 1 | 0 | 0 | - 18 |
Coefficients de P1 | 1 | 2 | 4 | - 10 |
Coefficients de P2 | 1 | 4 | 12 | |
Coefficients de P3 | 1 | 6 | ||
Coefficients de P4 | 1 |
Le réel x est racine cubique de 18 si x = 2 + y/10 où y est racine de R(X) = X3 + 60X2 + 1200X - 10000. La racine y est comprise entre 6 et 7 (pour éviter de balayer tous les nombres, il suffit de remarquer que 1200y et 10000 doivent être très proches avec 1200y < 10000). On pose alors y = 6 + z/10 et on cherche le polynôme S tel que R(6 + Z) = S(Z).
Coefficients de R | 1 | 60 | 1200 | -10000 |
Coefficients de R1 | 1 | 66 | 1596 | -424 |
Coefficients de R2 | 1 | 72 | 2028 | |
Coefficients de R3 | 1 | 78 | ||
Coefficients de R4 | 1 |
Le réel y est racine de R si y = 6 + z/10 où z est racine de T(X) = X3 + 780X2 + 202800X - 424000. La racine z est comprise entre 2 et 3. Donc y est compris entre 6,2 et 6,3 et x est compris entre 2,62 et 2,63.
Dérivées successives de P en x0
[modifier | modifier le code]Cette propriété apparaît ici en dernière position alors qu'elle est la propriété initiale mise en évidence par Ruffini et Horner. Cependant, comme une démarche purement algébrique est possible, celle-ci, plus simple, a été présentée d'abord. Le même algorithme permet de déterminer aussi la valeur de P(k)(x0). En effet, le développement de Taylor de P(x0 + Y) donne
Si on note Q(Y) = P(x0 + Y), les coefficients bk de Q, trouvés par la méthode de Ruffini-Horner vérifient l'égalité
Annexes
[modifier | modifier le code]Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) David Eugene Smith, A Source Book in Mathematics, Dover, (1re éd. 1929) (lire en ligne), p. 232-252.
- Florian Cajori, « Horner's method of approximation anticipated by Ruffini », BAMS, vol. 17, no 8, 1911, p. 409-414.
- Karine Chemla et Guo Shuchun, Les neuf chapitres : Le classique mathématique de la Chine ancienne et ses commentaires [détail de l’édition], introduction au chapitre 4.
- Hélène Bellosta, « À propos de l'histoire des sciences arabes », Gazette des mathématiciens, no 82, octobre 1999.
- (en) J. L. Berggren, « Innovation and Tradition in Sharaf al-Din al-Tusi's Muadalat », JAOS, vol. 110, no 2, 1990, p. 304-309.
- On peut travailler sur R ou sur un anneau commutatif A quelconque
- ou un élément de l'anneau A
- Pan, V. Ia (1966). Methods of computing values of polynomials. Russian Math. Surveys. 21: 105–136.