Toponymie des îles Kerguelen

Les îles Kerguelen, archipel du sud de l'océan Indien, furent découvertes inhabitées le par le navigateur breton Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec et restèrent sans population permanente depuis. Les seuls résidents l'ont été lors d'une tentative d'installation d'une ferme, quelques occupations ponctuelles pour des activités baleinières, et depuis les années 1950, une présence scientifique française. Sa toponymie lui a donc été donné ex nihilo, par les différents explorateurs, des baleiniers ou phoquiers ayant fréquenté ses eaux et ses mouillages puis au XXe siècle, une fois la possession française de l'archipel réaffirmée, par quelques institutions françaises.

Selon l'historienne Gracie Delépine, les toponymes des îles Kerguelen sont « les témoins, à la fois de la découverte faite progressivement par les Européens, en même temps que de la civilisation intellectuelle de ces mêmes Européens. Les toponymes ont été laissés sur l'archipel, depuis la découverte en 1772 jusqu'à aujourd'hui, par les explorateurs, chasseurs, pêcheurs, savants, marines nationales de tous pays : il y en a plus de mille. De plus, ils donnent un portrait géographique des îles, de même qu'une description zoologique et botanique : ils en font l'histoire naturelle[1]. »

Toponymie par Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec – 1772 et 1773

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Première toponymie de l'archipel, les noms donnés par Yves Joseph de Kerguelen ont quasiment tous subsisté jusqu'à nos jours[1]. Cette toponymie vient principalement des noms des bateaux et d'officiers de l'expédition, de la Bretagne d'où est originaire le navigateur, de la famille royale, des protecteurs de Kerguelen, et de ministres[1]. Il est à noter pour ces derniers l'aspect politique de la toponymie. Ainsi si lors de l'établissement des premiers toponymes, les ministres en cour auprès de Louis XV ont eu la faveur, lors de l'établissement de la carte après sa seconde expédition et alors que Kerguelen cherchait sa réhabilitation, le nom de nouveaux ministres en cour auprès de Louis XVI apparaitront[1]. Au cours de ces deux expéditions, l'île ayant été peu explorée, furent nommés surtout la topographie côtière et les points remarquables visibles depuis la mer.

Quelques exemples :

Toponymie de James Cook – 1776

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Le navigateur James Cook lors de son passage de 1776, longe les côtes nord, est et sud-est de l'archipel, confirmant son insularité. Il en fait faire une carte, réalisée par son lieutenant William Bligh[1] (le futur capitaine du HMS Bounty). Cette carte donne une vingtaine de toponymes à des points ou lieux visibles depuis la mer. Le plus important est celui même de l'archipel : îles de la Désolation, ou terre de Kerguelen[1]. Le premier nom est en usage pendant plus d'un siècle auprès des baleiniers et phoquiers américains et britanniques avant de tomber en désuétude, le second est utilisé auprès des missions navales et scientifiques[1] et finit par s'imposer comme le nom unique au début du XXe siècle.

Les autres toponymes donnés par Cook rappellent des membres de la famille royale britannique, des ministres britanniques de l'époque, des savants dont il bénéficiait de la protection ou certains de ses officiers. On trouve également quelques toponymes qui sont descriptifs[1] :

Toponymie des baleiniers et phoquiers

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Carte de Rhodes – 1799

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Dès les cartes établies par Kerguelen et surtout par Cook connues, les eaux de l'archipel sont fréquentées par des baleiniers et phoquiers britanniques et surtout américains qui, pour leur usage, nomment un certain nombre de lieux. Ce sont des noms descriptifs, de bateaux ou de barques de pêche. Certains d'entre eux sont reportés sur une carte manuscrite dessinée par le capitaine britannique Robert Rhodes, commandant le Hillsborough lors de sa venue dans les eaux des Kerguelen en 1799. Cette carte (dite « carte de Rhodes »), aujourd'hui conservée au Département hydrographique britannique, est utilisée en 1840 par sir James Clark Ross, venu avec l'Erebus et le Terror en 1840. Recopiée, elle sert également au commandant du Challenger en 1874, qui la donne au commandant Fairfax du Volage qui lui-même la transmet au commandant allemand de La Gazelle permettant de retrouver certains noms, francisés, dans la toponymie actuelle. On peut citer :

Carte de Nunn – 1850

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Le chasseur anglais John Nunn fait naufrage au large des Kerguelen en 1825. Il publie le récit de ce dernier en 1850, accompagné d'une carte des contours de l'archipel grossièrement dessinés. Cette carte porte une quarantaine de noms, probablement en usage chez les baleiniers et les phoquiers à l'époque du naufrage. Une trentaine d'entre-eux ont subsisté et évoquent, souvent avec originalité, la vie, et sa dureté, des marins de l'époque. On peut citer :

Ce dernier toponyme montre la difficulté d'une francisation. Bear up Bay a été traduit une première fois en 1913 sur la carte de la Marine nationale en « baie Laissez-Porter », puis en 1915 en « baie du Repos ». En 1922, dans La Géographie, Rallier du Baty explique : « Ce nom est difficile à traduire. "To bear up" en anglais maritime veut dire "laisser porter", par opposition à "to luff" ou "to heave" qui signifie "loffer" : "venir debout au vent" ». Il est à nouveau traduit en 1970 par la Commission de toponymie en « baie Laissez-Porter », son nom actuel.

Carte de James Clark Ross – 1840

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Lors de son expédition en Antarctique, le Britannique James Clark Ross passe aux Kerguelen en 1840. Il établit une carte assez précise reprenant les toponymes en usage à l'époque parmi les baleiniers et les phoquiers, toponymie alors de plus en plus fournie. On retrouve ainsi par exemple sur sa carte les noms, alors en anglais, de :

Ross ne nomme lui-même que trois lieux :

  • Baie Rhodes
  • Récifs du Terror, le HMS Terror est un des deux bateaux de l'expédition avec le HMS Erebus
  • Club-Moss Bay (aujourd'hui anse aux Choux), club-moss est le nom anglais courant du Lycopodiopsida dont le médecin de l'Erebus, seconde navire de l'expédition, avait découvert de nouvelles espèces dans les environs seulement.

Les autres noms en rapport à cette expédition ont été donnés à la suite de l'expédition du Challenger en 1874.

Toponymie lors de la mission du Challenger – 1874

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L'expédition du Challenger, mission scientifique britannique dirigée par le professeur Charles Wyville Thomson, à bord du HMS Challenger du capitaine Nares, séjourne aux Kerguelen en janvier 1874[3]. L'expédition attribue une cinquantaine de toponymes dont la plupart existent encore aujourd'hui. Vingt-deux sont d'après des noms de membres de l'expédition de l'Erebus et du Terror dont le mont Ross, point culminant de l'archipel, nommé d'après James Clark Ross ou le mont Tizard, d'après Thomas Henry Tizard (en), océanographe et lieutenant sur le Challenger. Un hydrographe de l'amirauté britannique, J. Evans, sera également honoré avec le mont Evans, mont abrupt et caractéristique au sud de la presqu'île Jeanne d'Arc.

La mission astronomique britannique venue observer le transit de Vénus entre et à bord du Volage et du Supply laisse également quelques noms.

Toponymie de la mission allemande de la Gazelle – 1874

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Une mission astronomique allemande, dirigée par le Docteur Boergen), est présente à bord de La Gazelle d' à . Ils établissent un campement de toile sur le bord de l'anse Betsy, au fond de la baie Accessible. Le navire effectue des relevés hydrographique de la côte nord-est de l'archipel. La mission attribue environ une cinquantaine de toponymes, d'après le nom de membres de l'équipage et de savants de la mission mais aussi de grands personnage prussiens d'alors, comme Bismarck, Kaiser ou Kronprintz. Le Service hydrographique de la marine dans sa cartographie de 1915, pendant la Première Guerre mondiale, supprimera tous ceux qui rappellent alors l'ennemi soit plus d'une vingtaine. Il en reste vingt-trois dans la toponymie actuelle, francisés pour les toponymes descriptifs.

Toponymie par Raymond Rallier du Baty – 1908 et 1913 à 1914

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Travaux de la Commission de Toponymie – 1966 à 1971

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En 1966, Pierre Rolland, administrateur supérieur des TAAF confie la validation de la toponymie des terres australes à une commission créée par l'arrêté no 16 du . Elle est composée de quatre membres qu'il a nommés :

Gracie Delépine, conservateur à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine à Paris est chargée de faire les recherches bibliographiques indispensables avec l'établissement des fiches correspondantes.

La commission va tenir une dizaine de réunions de à avec la présence de Monsieur Roly, représentant de l'administrateur des TAAF.

Elle va s'efforcer de suivre cinq règles :

  • prééminence du français pour la dénomination des patronymes constituant de simples appellations géographiques.
  • maintien des noms donnés au cours des missions antérieures à 1950.
  • respect des blancs de la carte d'alors, les nouveaux toponymes étant laissé aux soins des futures équipes qui en feront la reconnaissance.
  • éviction des noms se rapportant à des personnes vivantes donnés postérieurement à 1950, sauf s'il s'agit de chefs d'État ou de personnalités éminentes.
  • favoriser les noms pour honorer une personnalité ou un membre d'expédition disparu, commémorer un incident de route, le passage d'un navire, souligner une ressemblance, remémorer un nom géographique métropolitain, des évènements de la vie locale, etc.

Elle va s'appuyer sur la carte des Kerguelen réalisée par trois campagnes estivales de l'Institut géographique national (IGN)[5] entre 1964 et 1967.

Ces campagnes attribuent vingt-six noms qui sont repris par la Commission :

La commission va elle attribuer 270 noms.

Gaston Rouillon, qui avait effectué des travaux de gravimétrie en 1961 sur l'archipel, avait déjà laissé trois toponymes : l'anse de la Caverne, éperon du Gravimètre et la Butte Rouge.

Notes et références

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  1. a b c d e f g h et i Toponymie des Terres australes, Commission territoriale de toponymie avec le concours de Gracie Delépine, août 1973
  2. A Voyage to the Pacific Ocean, James Cook, Londres, 1784.
  3. Frédéric Aitken et Jean-Numa Foulc, Des profondeurs océaniques au laboratoire. 1, Les premières explorations de l'océan profond par le H.M.S. Challenger (1872-1876), Londres, ISTE, , 250 p. (ISBN 978-1-78405-464-9, 1-78405-464-X et 1-78406-464-5, OCLC 1088556348, présentation en ligne), chap. 3, p. 107-111
  4. a et b La carte de reconnaissance des îles Kerguélen par le Comité national français pour les recherches antarctiques, 1970, 72 pages.
  5. Les membres de l'IGN ayant participé à ces trois campagnes et au levé de la carte sont :
    • H. Guichard, H. de Corbiac et P. Cormier, ingénieurs géographes,
    • H. Journoud et B. Frölich, ingénieurs des travaux géographiques de l'État,
    • JC Boujon, ingénieur de Strasbourg.

Bibliographie

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