Manifeste des 363

Le texte du manifeste des 363 députés républicains.

Le manifeste des 363 est une déclaration adressée le par les députés républicains au président de la République Patrice de Mac Mahon, qui lui exprime leur opposition à la politique qu'il mène et à l'instauration du monarchiste duc de Broglie à la présidence du Conseil, alors même que la majorité de la Chambre est républicaine.

Contexte historique

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Président conservateur et majorité républicaine à la Chambre des députés

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Portrait en noir et blanc d'un homme se tenant debout, regardant vers la gauche, la main posée sur un bureau.
Portrait officiel du président Mac Mahon par Pierre Petit, 1873.

Élu président de la République par la majorité royaliste le en remplacement d'Adolphe Thiers, Patrice de Mac Mahon se montre favorable au retour de la monarchie et agit « en maître absolu du pouvoir exécutif » pendant les premières années de son mandat en nommant un gouvernement d'ordre moral dirigé par Albert de Broglie[1]. Confirmé à son poste pour une durée de sept ans après le vote de la loi du [2], il doit cependant composer avec une majorité républicaine à la Chambre des députés à l'issue des élections législatives de février-mars 1876 qui confirment la tendance à l'œuvre lors des élections partielles précédentes et apportent près de 350 sièges à ses adversaires[3].

Caricature de presse représentant deux lutteurs.
Représenté en hercule de foire, Jules Simon parvient à soulever le poids de l'opportunisme devant un Gambetta jaloux. Caricature par André Gill, La Lune rousse, .

L'effondrement des conservateurs est vécu comme un désastre par le président Mac Mahon qui nomme Jules Dufaure à la tête d'un gouvernement composé de monarchistes modérés et de républicains de centre gauche[4],[5]. Dufaure subit cependant la pression des députés et son ministère ne cesse de chercher des compromis[6], jusqu'à sa démission le [4]. Jules Simon, qui se décrit lui-même comme « profondément républicain et profondément conservateur », lui succède[7],[4]. Proche de l'ancien président Adolphe Thiers, Simon présente aux yeux du président l'avantage d'être nettement plus à gauche que son prédécesseur tout en étant un opposant notoire à Léon Gambetta, le chef de file de la majorité républicaine[7],[4].

Le ministère Simon et la question cléricale (début mai 1877)

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Photographie en noir et blanc de Jules Simon.
Jules Simon, président du Conseil à l'ouverture de la crise du .

Pour Jules Simon comme pour son prédécesseur, la position est délicate entre un Sénat monarchiste, un président conservateur et une Chambre républicaine[6]. Le nouveau président du Conseil donne des gages à la gauche en épurant la haute administration, ce qui lui vaut l'hostilité du président Mac Mahon, mais les républicains formulent des exigences accrues et Gambetta s'acharne à mettre Simon en difficulté[8].

Depuis le début de l'année 1877, les questions religieuses agitent la classe politique après que plusieurs évêques français ont répondu à l'appel du pape en demandant à leurs diocésains d'adresser des pétitions au président de la République afin qu'il intervienne publiquement pour rétablir le pouvoir temporel du souverain pontife. Le , à la tribune de la Chambre, Gambetta s'insurge contre ce qu'il considère comme une ingérence de l'Église dans les affaires françaises et à Jules Simon de manquer de fermeté[9]. Il dénonce « le mal clérical […] infiltré profondément dans ce qu'on appelle les classes dirigeantes du pays » et ponctue son discours par une célèbre formule empruntée à son ami journaliste Alphonse Peyrat, « Le cléricalisme ? Voilà l'ennemi ! ». Une motion est votée pour condamner les menées ultramontaines, à laquelle Simon ne s'oppose pas[6],[8],[7].

Lettre de Mac Mahon et démission de Jules Simon (16 mai)

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Le président Mac Mahon accuse Simon de subir l'influence d'une majorité qui se radicalise dans une voie anticléricale et d'être en quelque sorte l'otage de Gambetta, d'autant que le , le président du Conseil n'empêche pas la Chambre d'adopter l'abrogation d'une loi réprimant le délit de presse[8],[4]. Le , au petit matin, Mac Mahon réagit vivement à la lecture du Journal officiel qui rend compte du débat de la veille à la Chambre. Considérant que la prise de parole de Jules Simon déroge aux positions arrêtées en Conseil des ministres, il rédige une lettre qu'il lui adresse aussitôt[10].

Dans cette missive, le président de la République demande au chef du gouvernement « s'il a conservé sur la Chambre l'influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues » et réclame « une explication […] indispensable », justifiant son intervention par l'idée sacrée qu'il se fait de sa fonction : « si je ne suis pas responsable comme vous envers le parlement, j'ai une responsabilité envers la France, dont aujourd'hui plus que jamais je dois me préoccuper »[11],[10],[8]. Blessé par ce désaveu, Jules Simon remet aussitôt sa démission au chef de l'État, sans avoir pourtant été mis en minorité à la Chambre[10],[8].

Jules Simon se rend alors aux obsèques de l'ancien ministre Ernest Picard puis à celles de l'ancien député Taxile Delord, où il avertit de la situation ses différents ministres et les nombreux hommes politiques présents qui s'offusquent de l'initiative du président de la République. Une réunion de la Gauche républicaine, déjà prévue à 15 h au boulevard des Capucines, s'ouvre aux autres formations politiques et réunit finalement 200 parlementaires dont quelques sénateurs[12]. Une réunion plénière est décidée pour le soir même au Grand Hôtel, lors de laquelle environ 300 députés adoptent l'ordre du jour proposé par Léon Gambetta qui, désirant s'en tenir à la légalité de la Constitution, rappelle que « la prépondérance du pouvoir parlementaire s'exerçant par la responsabilité ministérielle est la première condition du gouvernement du pays par le pays »[12].

Manifeste des 363

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Texte imprimé en noir sur fond blanc sur un tissu carré aux bords bleu blanc rouge.
Manifeste des 363, mouchoir en soie imprimé.

Le président Mac Mahon décide de rappeler Albert de Broglie à la présidence du Conseil pour former un gouvernement de droite en concordance avec ses vues, et livre ainsi une lecture dualiste de la constitution : pour lui le gouvernement est tout autant son émanation que celle de la Chambre des députés. Le matin du , alors que la presse se fait l'écho de la crise, une foule nombreuse se rassemble devant la gare Saint-Lazare au départ des trains de parlementaires qui se rendent à Versailles, aux cris de « Vive la République ! », « Vive Gambetta ! »[13]. À la Chambre, alors que la droite tente de s'opposer à la prise de parole de Gambetta, arguant qu'on ne peut interpeller un ministère qui n'existe plus, le député républicain, rappelant que son discours ne doit pas être vu comme un mouvement d'hostilité à l'égard du président de la République, demande à Mac Mahon « de rentrer dans la vérité constitutionnelle »[13]. Il condamne ensuite la nomination du duc de Broglie et demande « si l'on veut gouverner avec le gouvernement dans toutes ses nuances, ou si, au contraire, en rappelant des hommes repoussés trois ou quatre fois par le suffrage populaire, on prétend imposer une dissolution qui entraînerait une consultation nouvelle de la France ». L'ordre du jour qu'il défend recueille 347 voix contre 149, la grande majorité des députés du centre gauche s'étant associés aux autres républicains[13].

La composition du gouvernement est annoncée le et le nouveau ministre de l'Intérieur, le bonapartiste Oscar Bardi de Fourtou, donne lecture aux députés du message aux chambres du président de la République qui justifie sa volonté de rompre avec le radicalisme et sa décision d'ajourner les chambres pour un mois[13]. Immédiatement après la clôture de la séance, les députés républicains se rassemblent dans le bureau du sénateur Émile de Marcère à l'hôtel des Réservoirs. Léon Gambetta propose alors de rédiger une adresse au pays qui constituerait « un acte de protestation contre la politique irrégulière, sinon dans la lettre, au moins dans l'esprit de la Constitution ». Alors qu'un député évoque l'adresse des 221 ayant abouti à la dissolution de la Chambre des députés par le roi Charles X en 1830, Gambetta reprend l'idée et estime qu'une telle adresse entraînera la chute définitive des conservateurs : « Imaginez quel sera le reflux de cet océan du suffrage universel poussant devant lui et rejetant pour jamais sur la grève toutes les épaves de l'Ancien Régime »[13]. Le texte, rédigé pour l'essentiel par son ami Eugène Spuller, prend le nom de manifeste des 363, du nombre de députés y ayant joint leur signature. Il affirme que « la France veut la République » et qu'« elle montrera par son sang-froid, sa patience, sa résolution, qu'une incorrigible minorité ne saurait lui arracher le gouvernement d'elle-même »[13]. Les trois groupes de gauche au Sénat y ajoutent pour leur part une déclaration voisine[13].

Le manifeste des 363 et les signataires

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La crise du 16 mai 1877 : Léon Gambetta jaillit d'une boîte à surprise tel un diable à ressort devant le président de la République Patrice de Mac Mahon, maréchal dont les opinions monarchistes sont symbolisées par la fleur de lys.
Surmonté d'un bonnet phrygien et du chiffre évoquant les 363 députés républicains, un nuage darde des éclairs sur le président tandis que le représentant de la majorité républicaine à la Chambre des députés prononce la péroraison de son discours lillois du  : « Se soumettre ou se démettre ».
Caricature de Jean Robert, carte postale d'époque.

Le camp républicain, pour contrer le pouvoir présidentiel, choisit de rédiger un manifeste, le , contre le président Mac-Mahon, un peu comme les parlementaires libéraux avait écrit leur Adresse des 221 pour dénoncer les abus de pouvoirs de Charles X. Les républicains prônent un gouvernement responsable devant les chambres ce qui va à l'encontre de la politique de Mac-Mahon, ce dernier se définissant lui-même « au-dessus des partis » c'est-à-dire, que le président nomme ses ministres comme bon lui entend[15]. Le manifeste invite les électeurs à ne pas approuver cette « politique de réaction et d'aventure » que semble prendre le gouvernement de Broglie, il s'agit en fait, d'une véritable motion de défiance de la part des républicains envers le gouvernement en place. Le manifeste est rédigé de la main d'Eugène Spuller, proche de Léon Gambetta[16].

Les suites du manifeste

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Foulard commémoratif de l'« union de tous les groupes républicains », le 26 juin 1877. Portraits de Thiers et Gambetta en médaillons.

Mac-Mahon décide alors, avec l'accord du Sénat[17], de dissoudre la chambre des députés. Une intense campagne s'ouvre mais alors que les monarchistes, favorables au maréchal, font une mauvaise campagne, les républicains apparaissent indissolubles et unis à l'image de Thiers et de Gambetta qui déjeunent ensemble le . La mort de Thiers début septembre est une grande manifestation de joie républicaine[réf. nécessaire]. Gambetta, pendant ce temps, joue pour la deuxième fois son rôle de commis voyageur de la république et parcourt la France pour convaincre les Français ; il s'illustrera par sa verve notamment dans un discours à Lille resté célèbre « Il faudra se soumettre ou se démettre ».

Les élections législatives ont lieu et elles déçoivent les espoirs monarchistes car les républicains ont, malgré leur perte de 39 sièges, toujours la majorité. Mac-Mahon, après quelques réticences, finit par appeler Jules Dufaure à former un gouvernement le .

Mac-Mahon, après la perte du Sénat par les monarchistes un an plus tard, sera finalement mis en minorité et contraint à la démission en pour faire place à un républicain, Jules Grévy. Les derniers espoirs de restauration monarchique sont anéantis et la république est établie pour de bon.

Ce manifeste consacre également le principe d'union des républicains des diverses tendances[18] quand un danger menace la République comme entité politique. La coalition contre Mac-Mahon concrétise une véritable union des gauches parlementaires, soudées par un fort anticléricalisme[15].

Notes et références

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  1. Tandonnet 2017, p. 91.
  2. Éric Ghérardi, chap. 2 « La mise en place des institutions républicaines : la naissance de la IIIe république (1870-1879) », dans Constitutions et vie politique de 1789 à nos jours, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », (ISBN 978-2200288617), p. 39-56.
  3. Tandonnet 2017, p. 99.
  4. a b c d et e Tandonnet 2017, p. 99-100.
  5. Lejeune 2016, p. 67-69.
  6. a b et c Houte 2015, p. 41-42.
  7. a b et c Duclert 2021, p. 161-162.
  8. a b c d et e Lejeune 2016, p. 69-70.
  9. Jacques-Olivier Boudon, chap. 6 « La question religieuse dans les débuts de la IIIe République », dans Religion et politique en France depuis 1789, Paris, Armand Colin, , p. 99-106.
  10. a b et c Tandonnet 2017, p. 100-101.
  11. Duclert 2021, p. 162.
  12. a et b Unger 2022, p. 209-210.
  13. a b c d e f et g Unger 2022, p. 210-213.
  14. Manifeste des 363 (consulté le ).
  15. a et b Julliard et Franconie 2012 [1]
  16. Bayon 2006
  17. Le Temps, 24 juin 1877. Le Sénat vote, le 22 juin 1877, la dissolution par 149 voix, contre 130.
  18. Les « 363 », vus par la Revue des Deux Mondes.

Bibliographie

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Lien externe

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